Le cinéaste Peter Bogdanovich remis en salles
L’outsider américain à la carrière chaotique mais traversée de fulgurances est l’objet cet automne de plusieurs publications et voit deux de ses chefs-d’oeuvre ressortir en DVD e t sur grand écran.
«Un jour, j’ai demandé à Orson Welles de comparer John Ford et Howard Hawks et il m’a répondu ceci : “Hawks, c’est de la grande prose, Ford, c’est de la poésie.” Un cinéaste fordien serait pour moi, un cinéaste doté d’une sensibilité élégiaque, tandis que Hawks a un style et un rapport au monde plus directs. Je pense que je suis tombé quelque part entre les deux.» Bien sûr, on pourrait sourire de l’imperceptible forfanterie de l’auteur de ces lignes que rapporte Jean-Baptiste Thoret dans le beau livre d’entretiens qu’il vient de lui consacrer – le Cinéma comme élégie, conversation avec Peter Bogdanovich (GM Editions-Carlotta Films). De cette façon un peu crâne de se glisser, mine de rien, entre deux figures tutélaires du cinéma hollywoodien, et même trois si l’on compte Welles auquel Bogdanovich fut parfois comparé à ses débuts pour la maîtrise de son style et la fulgurance d’une carrière qui s’annonçait prometteuse, mais qui sera minée au début des années 80 par l’assassinat de sa jeune compagne, la playmate Dorothy Stratten, dont il relate les circonstances dans un récit, la Mise à mort de la Licorne enfin traduit et publié par GM Editions-Carlotta Films.
Etoile filante
Mais plutôt que de s’arrêter à cette infime arrogance –un trait de caractère qui lui fut souvent reproché à Hollywood –, notons que ces propos soulignent (en même temps que son allégeance à un certain classicisme) la dualité d’un cinéma écartelé entre le vif et la perte de l’innocence, entre la vitesse et la nostalgie contemplative, le mouvement et le désir buissonnier d’en moduler le rythme, jusqu’à atteindre une liberté folle dans l’art très renoirien d’arrimer le récit à ses personnages, et de le laisser flotter au gré du flux comme un bouchon de liège – art qui touche à la perfection dans sa virevoltante comédie romantique Et tout le monde riait (1981) ou encore dans Saint Jack (1979), languide chef-d’oeuvre méconnu avec l’immense Ben Gazzara en mac cool et débonnaire exilé à Singapour, qu’une réédition concoctée par Carlotta Films permet enfin de redécouvrir sur grand écran et dans un superbe coffret Bluray.
Pour ceux qui ne connaissent Peter Bogdanovich que sous les traits du psy de Lorraine Bracco qu’il incarna dans la série les Soprano – dont il réalisa lui-même un épisode en 2004 –, et pour les autres qui peinent à identifier clairement sa filmographie en dents de scie, dont injustement on ne retient souvent que la toute première partie et son succès oscarisé The Last Picture Show (1971), chronique désenchantée d’une jeunesse sans avenir dans le Texas endormi des années 50, la riche actualité dont Bogdanovich fait l’objet cet automne arrive à point nommé pour battre en brèche les raccourcis dont il est souvent l’objet. Le premier consiste à ne percevoir en ce cinéaste, né en 1939 à Kingston (Etat de