Un débat passé par pertes et profits
Si elle permet de lutter contre la corruption, la fin du cash risque d’exclure les plus fragiles et de rapporter beaucoup aux acteurs financiers.
Fraude, corruption, blanchiment d’argent… Le liquide, coupable de toutes les dérives ? Alors que la dématérialisation des transactions s’accélère au Nord et galope au Sud, semble se profiler l’horizon d’une société «zéro cash» (lire page 2). Mais à quel prix ?
«Il y a d’abord un risque d’exclusion de toutes les personnes qui n’utilisent pas les moyens dits “modernes” de paiement, explique à Libération Jean-Michel Servet, professeur honoraire à l’Institut des hautes études internationales et du développement à Genève, en Suisse. Aux Etats-Unis, par exemple, on estime qu’elles représentent 8% de la population.» La situation des plus fragiles dans une société sans argent liquide préoccupe d’autant les associations de consommateurs que l’usage des espèces, lui, est gratuit. «Ce qui intéresse les acteurs financiers, c’est aussi de capter de la richesse, souligne Solène MorvantRoux, professeure à l’Institut de démographie et socioéconomie de l’université de Genève. Avec la carte bancaire, le téléphone mobile, les applications, il y a une commission. L’usage du cash est profondément démocratique, accepté par tous, et il est anonyme. Avec le paiement numérique, c’est tout l’inverse.»
TRAÇABILITÉ
Car le «cashless», c’est aussi – au nom de la commodité d’usage, ou de la lutte contre la criminalité et le terrorisme – la traçabilité des transactions. En 2015, lorsque la France a abaissé à 1 000 euros le plafond des paiements en espèces, le ministre des Finances d’alors, Michel Sapin, le disait clairement : «La première volonté, c’est de faire reculer le cash et l’anonymat dans l’économie française. Nous avons besoin de pouvoir tracer les opérations suspectes très en amont.» Sauf que dans un élan planétaire, «on massifie la “digitalisation” de millions de personnes qui n’ont rien à voir avec ces activités», poursuit Solène Morvant-Roux. Et on ouvre la possibi-