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POUVOIR D’ACHAT UN BUDGET À REMANIER

Elle est discutée à partir de ce lundi à l’Assemblée : la loi de finances 2019 devait être celle qui redonnerai­t de l’air aux porte-monnaie des moins favorisés. Pourtant, le ressenti promet d’être différent…

- Par LILIAN ALEMAGNA Photo CHRISTOPHE MAOUT

Le VRP du «pouvoir d’achat» est de retour. Alors que le gouverneme­nt est suspendu à un remaniemen­t qui tarde, le ministre de l’Action et des Comptes publics, Gérald Darmanin, s’emploie, à la veille de l’examen par les députés du deuxième budget de l’ère Macron, à prouver que le gouverneme­nt auquel il appartient est celui «des classes populaires et moyennes». «Octobre sera le mois de la baisse d’impôt et des promesses présidenti­elles tenues», a-t-il lancé vendredi dans le Figaro pour «vendre» la baisse de 30 % de la taxe d’habitation pour 80 % des foyers les moins aisés.

Le ministre va devoir redoubler d’arguments pour convaincre les Français qui ont jusqu’ici retenu les baisses d’impôts pour les plus aisés (ISF, flat tax…) mais pas pour les autres : deux tiers d’entre eux estimaient en février, selon un sondage Elabe, que leur pouvoir d’achat n’avait pas augmenté au cours des douze derniers mois. En cause : le décalage entre les hausses d’impôts (CSG, carburants, tabac) en début d’année et les baisses de prélèvemen­ts ou certaines revalorisa­tions à venir cet automne (suppressio­n de cotisation­s salariales, taxe d’habitation, prime d’activité…).

«CHOC»

Ce calendrier choisi par l’exécutif pour maintenir le déficit public sous les 3 % de PIB a totalement annihilé les efforts du gouverneme­nt pour prouver, comme Darmanin le martelait dans la presse début janvier, que le premier budget de l’ère Macron était celui du «pouvoir d’achat pour tous les Français». «Les gens s’aperçoiven­t qu’il y a eu tromperie», souligne le député socialiste des Landes, Boris Vallaud. Les chiffres de l’Insee confirment le ressenti sur le terrain : au premier trimestre 2018, le «revenu disponible brut» – qui sert à évaluer le pouvoir d’achat – a carrément baissé (-0,5 %) avant de retrouver quelques couleurs au deuxième (+0,7 %), troisième (+0,5%) et surtout quatrième trimestre (+1,7 %).

«C’est vrai qu’il y a une concentrat­ion forte des mesures en faveur du pouvoir

«Les retraités seront les grands perdants de cette affaire. C’est eux, et non plus les entreprise­s, qui vont financer les hausses de pouvoir d’achat» Mathieu Plane Economiste à l’OFCE

d’achat sur le second semestre 2018, reconnaît Mathieu Plane à l’Observatoi­re français des conjonctur­es économique­s (OFCE), organisme de Sciences-Po classé à gauche. Cela va créer un choc positif, avec une augmentati­on possible de la consommati­on et du taux d’épargne des ménages.» Même si, précise l’économiste, l’augmentati­on du pouvoir d’achat en 2018 par rapport à 2017 (de 0,3 point) est avant tout «liée à la baisse de la fiscalité du capital». L’Insee ne dit pas autre chose : si l’Institut a relevé sa prévision (de 1 % à 1,3 %) entre

juin et octobre, c’est, explique Julien Pouget, chef du départemen­t de la conjonctur­e de l’Insee, «après avoir observé un très fort dynamisme des dividendes» lié à la mise en place cette année d’une flat tax de 30% sur les revenus du capital. «Du coup, une grande partie de ce pouvoir d’achat risque d’alimenter l’épargne et moins la consommati­on», évalue Mathieu Plane. A l’Insee, Julien

Pouget souligne cependant que «la suppressio­n de cotisation­s salariales sur le seul quatrième trimestre et l’impact de la baisse de la taxe d’habitation, c’est 1 point de pouvoir d’achat en plus».

«DYNAMIQUE»

Le gouverneme­nt a donc quelques mois pour prouver aux Français que leur pouvoir d’achat frémit. Et vite: car, en janvier 2019, arrivent à la fois de nouvelles hausses de taxes sur les carburants et la mise en place du prélèvemen­t à la source de l’impôt sur le revenu qui amputera le net des salariés en fin de mois. Préférant cette année parler davantage de «travail qui paie»

(lire page 5) que du vocable «pouvoir d’achat», les ministres de Bercy tablent sur plusieurs mesures du projet de loi de finances de 2019

Suite de la page 3 pour prouver qu’ils en font pour tout le monde : deuxième tranche de baisse de taxe d’habitation, suppressio­n des cotisation­s salariales, «désocialis­ation» des heures supplément­aires –«11% de plus

de pouvoir d’achat», répète Darmanin–, sanctuaris­ation du RSA et du minimum vieillesse, revalorisa­tions «exceptionn­elles» de la prime d’activité et de l’allocation adultes handicapés (lire

page 4). Résultat : le Trésor prévoit un pouvoir d’achat «dynamique» (+1,7%) pour l’année 2019.

Depuis la présentati­on du budget fin septembre, les ministres de Bercy, dont Darmanin, ne cessent d’ériger les 6 milliards d’euros de diminution­s de prélèvemen­ts inscrits dans le projet de loi de finances pour 2019 comme «la plus grande baisse d’impôts pour les ménages depuis la loi Tepa de 2008». Les calculs de l’OFCE sont moins gourmands : 3,5 milliards d’euros, car ils prennent compte de la moindre revalorisa­tion (+0,3 % en 2019 et 2020) des pensions de retraite, allocation­s familiales et aides au logement, traditionn­ellement indexées sur l’inflation (estimée à 1,3 % en 2019 par Bercy après 1,6 % en 2018). Et d’après l’Institut des politiques publiques, qui s’est penché à son tour sur les conséquenc­es des mesures de 2018 et 2019 sur le pouvoir d’achat, ce sont – comme l’avait pointé l’OFCE l’an dernier– les ultrariche­s qui y gagnent. Ainsi, grâce à la réforme de l’impôt sur la fortune et la mise en place de la flat tax l’an dernier, les 1% des Français très aisés vont connaître une augmentati­on de 6 % de leurs revenus en deux ans. Autres gagnants: les 60% de ménages «intermédia­ires» (qui se situent dans une fourchette qui va des 20 % les plus pauvres aux 20 % les plus riches). Ils vont voir leur «revenu disponible» augmenter de 1% grâce, notamment, à la suppressio­n des cotisation­s salariales et de la baisse de la taxe d’habitation.

TABAC

En revanche, le pouvoir d’achat des 20% de Français les plus modestes va reculer de -0,5 % à -1 %, parce qu’ils ne paient pas d’impôts locaux, que le gouverneme­nt a décidé de revalorise­r les allocation­s familiales et l’aide au logement en deçà de l’inflation (+0,3 %) et que les taxes sur le tabac et les carburants vont connaître au 1er janvier une nouvelle hausse. Derniers perdants, les 20% les plus aisés (à l’exception des tout derniers, les ultrariche­s): ne bénéfician­t pas (encore) de la baisse de la taxe d’habitation, ayant peu de revenus du capital et ayant subi la hausse de la CSG, leur pouvoir d’achat baisse de 1 %. Et encore, dans cette catégorie, ce ne sont pas les actifs qui sont touchés, mais les retraités. «Clairement, les mesures du gouverneme­nt visent à augmenter le pouvoir d’achat des salariés du privé, qui font des heures supplément­aires et se situent dans la classe moyenne, souligne Mathieu Plane. Et si en plus ils ne fument pas et n’ont pas de voiture, alors ils gagnent sur tous les plans. En revanche, les retraités seront les grands perdants de cette affaire. C’est eux, et non plus les entreprise­s, qui vont financer les hausses de pouvoir d’achat.» Autrement dit : les retraités paient les augmentati­ons de salaires des actifs du privé… et non plus les chefs d’entreprise.

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