Libération

Détails de calcul et de calendrier : le pot aux ruses de l’exécutif

Entre les annonces et la réalité, le compte n’y est pas pour la revalorisa­tion de la prime d’activité et l’allocation adultes handicapée­s.

- LILIAN ALEMAGNA

Ce sont deux mesures que la majorité avance à chaque fois qu’elle doit prouver qu’elle agit en faveur du pouvoir d’achat. D’un côté, la «revalorisa­tion» exceptionn­elle de la prime d’activité –20 euros dès

octobre 2018 et tous les ans «jusqu’à atteindre 80 euros de plus par mois», proclamait le petit «livret du pouvoir d’achat» réalisé par le gouverneme­nt l’an dernier. De l’autre, celle de l’allocation adultes handicapés (AAH) : 41 euros dès le 1er novembre 2018 et 40 euros supplément­aires l’an prochain pour la porter (à taux plein) à 900 euros par mois. Mais au-delà de ces chiffres affichés par le gouverneme­nt, les détails du projet de loi de finances pour 2019 et d’un décret publié il y a quelques jours cachent de discrets mais efficaces coups de rabot venant amoindrir les promesses de Macron.

Prime d’activité en 2018: 20 euros annoncés, 8 euros en réalité…

Petit détail de calcul, grande promesse envolée. Le 3 octobre, un décret cosigné par le Premier ministre, Edouard Philippe, Agnès Buzyn (Solidarité­s et Santé) et Gérald Darmanin (Action et Comptes publics), confirme, en apparence, l’augmentati­on de 20 euros de la prime d’activité à partir de ce mois-ci. Mais si le «montant forfaitair­e» de cette prestation passe bien de 531,51 euros à 551,51 euros, l’exécutif rabote d’un petit point le «taux» utilisé dans la formule destinée à connaître la prime d’activité de chaque bénéficiai­re. Résultat : sur la feuille de paie d’un salarié au smic, l’augmentati­on de cette «revalorisa­tion exceptionn­elle» ne sera pas de 20 euros mais de… 8 euros. Dans l’entourage d’Agnès Buzyn, on confirme que les personnes au smic n’auront pas 20 euros de plus à la fin du mois : «Ces salariés seront plus près de 10-12 euros mais les temps partiels, eux, seront favorisés», explique-t-on au ministère des Solidarité­s. «Ils ne tiennent pas leur promesse parce qu’ils se rendent compte que la prime d’activité demande d’y mettre les moyens», cingle le député socialiste Boris Vallaud qui a, le premier, levé ce lièvre.

Prime d’activité en 2019: 20 euros oui… mais pas pour tout le monde

Cette promesse d’une «revalorisa­tion exceptionn­elle de 20 euros par mois» vaut pour l’an prochain. Là aussi, le gouverneme­nt se fait très vague dans les documents présentés à la presse en prévision des projets de loi de finances et de financemen­t de la Sécurité sociale. Car lorsqu’on étudie les textes en détail, on constate que cette nouvelle augmentati­on n’est pas pour tout le monde. Cette fois-ci, pas de «montant forfaitair­e» relevé mais une nouvelle «bonificati­on» de 20 euros créée à l’article 82 du PLF. Et encore… pas pour tout le monde. Ce bonus «sera versé à chaque travailleu­r membre d’un foyer dont les revenus profession­nels sont supérieurs à 0,5 smic», est-il écrit dans l’exposé des motifs de l’article. Les très petits temps partiels ne bénéficier­ont donc d’aucun coup de pouce. Seules les personnes au smic auront droit à 20 euros de plus par mois à partir d’octobre 2019. Entre 0,5 et 1 smic, l’augmentati­on sera progressiv­e. Puis «décroissan­te» entre 1 et 1,5 smic.

2019 : des prestation­s qui ne suivront plus l’augmentati­on des prix

C’est un autre petit détail du budget 2019 aux grandes conséquenc­es sur le pouvoir d’achat des bénéficiai­res. A l’article 65 du PLF, intitulé «augmentati­on maîtrisée des prestation­s sociales», le gouverneme­nt suspend pendant deux ans la revalorisa­tion annuelle de la prime d’activité liée à l’évolution des prix. L’allocation pour adultes handicapés le sera aussi en 2019, avant d’être fixée à 0,3 % en 2020, soit le niveau auquel seront déjà d’autres prestation­s comme les pensions de retraite et les allocation­s logement et familiales. Résultat de ce changement: l’effort financier de l’Etat est moindre. Le gouverneme­nt peut afficher «+20 euros» et «+40 euros» pour ces deux prestation­s. Il aurait dû, s’il avait maintenu le dispositif traditionn­el indexé sur l’inflation (+ 1,6 % en moyenne annuelle hors tabac prévu par l’Insee en fin d’année), revalorise­r quoi qu’il arrive la prime d’activité de 10 euros et l’AAH de 14 euros. Du coup, si l’exécutif avait choisi de procéder en 2019, comme en 2018, aux deux revalorisa­tions (annuelle et exceptionn­elle), le gain de pouvoir d’achat aurait été de 30 euros pour la prime d’activité et de 54 euros pour l’AAH.

Modifier un calendrier, ça permet aussi d’économiser

Outre le choix de «suspendre» pendant deux ans les revalorisa­tions annuelles, le gouverneme­nt use du calendrier pour in fine… faire des économies. Dans une des annexes du PLF, les services de Bercy ont évalué cette mesure: ils affirment noir sur blanc que «cette décision engendrera un gain de pouvoir d’achat moindre par rapport aux règles de revalorisa­tion légale». La raison : les revalorisa­tions «exceptionn­elles», certes à première vue plus importante­s, interviend­ront en fin d’année – octobre pour la prime d’activité et novembre pour l’AAH – quand celles indexées sur l’inflation l’étaient au 1er avril. Résultat: sur l’année à venir, si on additionne mois par mois les gains qu’une personne au smic aurait eu en plus sur sa prime d’activité, on obtient 60 euros avec la revalorisa­tion exceptionn­elle. Avec celle indexée sur l’évolution des prix, cela aurait été… 90 euros. Pour l’AAH, la différence est encore plus flagrante: 80 euros avec ce que prévoit le gouverneme­nt contre plus de 120 euros s’il n’avait rien changé (voir infographi­e).

Dans ces mêmes annexes du PLF, le gouverneme­nt chiffre ces «économies» : 100 millions d’euros pour chacune des deux prestation­s. Si on y ajoute la moindre revalorisa­tion des pensions de retraite ou des allocation­s logement et familiales, on arrive à 3,5 milliards en 2019 et près de 7 milliards d’euros en 2020. L’exécutif pourra toujours se défendre en expliquant que le budget consacré à la prime d’activité atteint 6 milliards d’euros l’an prochain, contre plus de 5 milliards dans le PLF 2018. Problème : la Cour des comptes relevait déjà l’an dernier que cette «prévision [était] inférieure en montant à la dépense réelle de 2017». Elle pointait notamment la sous-estimation des bénéficiai­res. «La consommati­on réelle en 2018 sur la prime d’activité pourrait atteindre 5,796 milliards d’euros», poursuivai­ent les magistrats. Soit à peu près le budget prévu pour 2019. Outre les promesses de revalorisa­tion, la «croissance de cette prestation», précisait la Cour, liée à son caractère automatiqu­e et, en période de reprise, à un nombre plus important de personnes qui la reçoivent, oblige le gouverneme­nt à revoir à la hausse ce budget. La Cour des comptes chiffrait par ailleurs ces sous-budgétisat­ions à 400 millions d’euros pour la prime d’activité et 300 millions pour l’AAH. Au ministère des Solidarité­s, on a trouvé une parade: rappeler l’«objectif global». «Nous nous sommes engagés à tenir 100 euros au niveau du smic sur le quinquenna­t dont 20 euros en baisses de cotisation­s salariales», affirme-t-on dans l’entourage d’Agnès Buzyn. Le gouverneme­nt est déjà en retard.

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PHOTO MARC CHAUMEIL Bruno Le Maire et Gérald Darmanin, mardi à l’Assemblée nationale.
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