Libération

Sur le pouvoir d’achat, deux com, deux ambiances

Si le gouverneme­nt s’échine à détailler les gains immédiats des Français, le Président se targue de défendre des valeurs, ne se dédiant qu’aux réformes à long terme.

- DOMINIQUE ALBERTINI

Faut-il être le gouverneme­nt du bulletin de paie, ou celui du contrat de travail? Souvent attaqué sur ses résultats en matière de pouvoir d’achat, l’exécutif promet une spectacula­ire améliorati­on dans les prochains mois. Mais dans le même temps, certaines voix, dont celle du chef de l’Etat, relativise­nt cet enjeu au profit des valeurs «travail» et «mérite». Aiguillonn­é par l’opposition, mardi dernier à l’Assemblée, Edouard Philippe en a refait la promesse : «Les Français vont constater, et ils constatent déjà, qu’au second semestre de 2018, ils vont bénéficier d’une augmentati­on de leur pouvoir d’achat comme ils n’en ont pas connu au cours des dix dernières années» – c’est-à-dire depuis la loi «travail, emploi et pouvoir d’achat» adoptée sous Sarkozy.

«Fétichiste». Baisse de la taxe d’habitation (de 30% pour commencer en 2018 en faveur de 80 % des foyers fiscaux), suppressio­n des cotisation­s chômage et maladie, suppressio­n à venir des cotisation­s sur les heures supplément­aires… Le camp présidenti­el ne manque plus une occasion d’énumérer ces mesures, et les considérab­les effets attendus. L’an passé, à la même époque, c’est le ministre des Comptes publics, Gérald Darmanin, qui se faisait le champion du pouvoir d’achat. La jeune recrue macronienn­e faisait diffuser une petite brochure, le «livret du pouvoir d’achat», détaillant les gains de différents profils de Français. Et allait jusqu’à promettre l’équivalent d’un «treizième mois» pour certains d’entre eux. «Nous sommes le gouverneme­nt des classes moyennes. […] Nous baissons les impôts pour 18 millions de Français», s’est encore flatté le ministre vendredi.

Dans ce contexte, une récente déclaratio­n de Macron au JDD peut passer pour un bel exemple de «pensée complexe» : «Je suis sensible à la problémati­que du pouvoir d’achat mais, moi, je ne me suis pas engagé là-dessus, y déclare le chef de l’Etat. Je me suis engagé sur le travail, sur le mérite. […] La politique que je mène, elle ne peut pas seulement être conduite pour la fin du mois.» Décryptage d’une source ministérie­lle : «Le pouvoir d’achat, c’est un combat perdu d’avance. Même s’il augmente, ce ne sera jamais assez pour les gens. Il faut choisir ses combats : le nôtre, c’est le travail sous toutes ses formes. Il n’y a pas assez d’heures de travail en France.»

Ce discours participe d’une philosophi­e assez commune au sein du camp présidenti­el: la priorité donnée aux réformes structurel­les, et à leurs résultats parfois lointains, sur les résultats de court terme. Exemple avec le déficit des comptes publics, dont le rythme de réduction sera moins rapide que prévu : «Il faut être absolutist­e sur les réformes structurel­les, mais pas fétichiste du dixième de point de déficit ou de croissance, expliquait, mi-août, le député LREM Stanislas Guerini. Notre obsession doit être de transforme­r le pays : que le déficit soit plutôt à 2,5 % qu’à 2,3 %, cela me semble secondaire.» «Artificiel». Un discours qu’il est plus difficile de faire valoir s’agissant du pouvoir d’achat. Une source parlementa­ire voit dans le commentair­e présidenti­el une invitation à «redéfinir intelligem­ment le pouvoir d’achat, et montrer que celui-ci ne se réduit pas au bulletin de salaire. Avant, on finançait du pouvoir d’achat artificiel par de la dette et des impôts. Nous, c’est en valorisant le travail que nous soutenons le pouvoir d’achat». Et le même de reconnaîtr­e «avec une humilité très forte» que «c’est compliqué à expliquer. On assume que la période de pédagogie sera difficile».

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