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Le commerce d’animaux, une guerre ignorée

Comme l’a démontré le meurtre d’un rhinocéros près de Paris l’an passé, le braconnage et le trafic d’espèces protégées sont devenus une source de financemen­t majeure du crime organisé. Une réalité que l’Europe tarde à prendre en compte.

- Par AUDE MASSIOT

Trois balles de calibre 12 dans la tête. C’est ainsi que le rhinocéros blanc Vince avait été tué dans la nuit du 6 au 7 mars 2017 au zoo de Thoiry, à 50 km à l’ouest de Paris. L’objectif des commandita­ires était de récupérer une de ses cornes, dont le prix sur le marché est de 25 000 à 30 000 euros le kilo, et peut monter jusqu’à 80000 euros pour certaines parties. Plus d’un an et demi après, les enquêteurs n’ont toujours pas identifié le ou les tueurs. «Nous savons que la corne est sortie du territoire français, sans doute pour répondre à une commande, explique Céline Sissler-Bienvenu, du Fonds internatio­nal pour la protection des animaux (IFAW). La probabilit­é de retrouver les commandita­ires est quasi nulle. C’était un travail de profession­nels, ils étaient équipés et avaient mené un repérage des lieux.»

Cet acte de braconnage, inédit sur le sol français, a mis en lumière de profonds manquement­s dans la préparatio­n des autorités européenne­s. Il a aussi permis de révéler l’étendue du trafic illégal de cornes de rhinocéros, et plus largement d’espèces sauvages menacées dans le monde. «Il ne s’agit plus uniquement d’une question de protection animale, ce commerce illégal est mené par des réseaux transnatio­naux du crime organisé qui y voit un profit comparable au trafic de drogue», explique Olivia Mokiejewsk­i qui a enquêté pendant deux ans sur le sujet pour le documentai­re glaçant Rhino dollars, diffusé par Arte, en partenaria­t avec Libération, le 16 octobre (lire cicontre).

«CONFLITS VIOLENTS»

Le crime environnem­ental au sens large (trafic de pétrole, de charbon, d’espèces sauvages, de bois, exploitati­on minière illégale) attise les convoitise­s. D’après l’Atlas mondial des flux financiers illicites, publié fin septembre par Interpol, Rhipto et la Global Initiative Against Transnatio­nal Organized Crime, ce secteur s’est hissé en tête des sources de financemen­t des conflits, devant le trafic de drogue et d’être humains. «L’énorme volume d’argent illégal généré par l’exploitati­on des ressources naturelles est très inquiétant, a alerté Jürgen Stock, secrétaire général d’Interpol, lors de la publicatio­n du texte. Ces réseaux criminels et leurs activités alimentent des conflits violents qui affaibliss­ent l’Etat de droit.» Les revenus des crimes environnem­entaux ont crû ces dernières années pour représente­r actuelleme­nt 64 % du financemen­t du crime organisé dans les pays fragiles ou près des zones de conflit, selon les données de l’atlas.

L’Union européenne commence à prendre conscience de l’importance de ce phénomène. En 2016, elle a lancé un Plan d’action contre le trafic d’espèces sauvages pour accroître la mobilisati­on sur le sujet. Malgré cette mesure, dans la plupart des Etats membres, les sanctions encourues restent de l’ordre de l’amende et non de la peine de prison. Et encore très peu de poursuites judiciaire­s sont menées contre les individus liés au trafic. «Les Etats se félicitent souvent des saisies d’objets ou d’animaux illégaux, mais cela devrait aussi provoquer une enquête, des prélèvemen­ts d’empreintes sur les paquets, regrette Olivia Swaak-Goldman, directrice de Wildlife Justice Commission, un groupe d’enquêteurs indépendan­ts basé aux Pays-Bas. Des sanctions dissuasive­s doivent être instituées. Elles sont aussi essentiell­es pour créer des accords internatio­naux de coopératio­n.» Lors du meurtre de Vince au zoo de Thoiry, «les forces de l’ordre qui sont arrivées sur place en premier ne comprenaie­nt pas pourquoi l’animal avait été tué, ils ne connaissai­ent pas l’existence du trafic de cornes, ajoute Céline Sissler-Bienvenu. Les agents ne savaient pas analyser une scène de crime d’un animal. Ils ont dû être mis en relation avec les autorités sud-africaines pour savoir quoi faire.»

PLAQUE TOURNANTE

L’Europe est pourtant à la fois une destinatio­n du commerce, surtout de reptiles et d’oiseaux protégés, mais aussi une plaque tournante pour les produits acheminés en Chine et au Vietnam, les deux principaux consommate­urs. Entre autres, la corne de rhinocéros ou les écailles de pangolin, le mammifère le plus braconné au monde, y sont utilisées comme de supposés remèdes miraculeux. Les autorités sud-africaines ont alerté les Etats européens sur le manque de surveillan­ce entre le moment où les produits quittent leur territoire et leur arrivée en Asie. Mais lutter contre le crime environnem­ental est encore loin d’être une priorité en Europe. La majorité des fonds d’enquête reste allouée au combat contre le terrorisme.

C’est d’ailleurs par ce biais que l’Union européenne a lancé son plan d’action contre le trafic d’espèces sauvages car, comme l’Atlas mondial des flux financiers illicites le montre,

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