Ouïghours :
Dans le Xinjiang, au moins 800 000 citoyens musulmans sont enfermés par les autorités. Après avoir nié, le Parti souhaite désormais donner une base légale à ces prisons. la Chine reconnaît des camps «pour éduquer»
Durant des mois, Pékin a nié avec force l’existence de camps secrets de détention de musulmans au Xinjiang, malgré l’accumulation de preuves récoltées par des ONG et des médias étrangers (lire Libération du 30 août). Mais la semaine dernière, le Parti communiste chinois a brusquement changé de discours et tenté de justifier l’enfermement d’au moins 800 000 personnes, majoritairement issues de l’ethnie ouïghoure, en proposant des amendements à la loi «antiextrémisme». Ces nouveaux textes cherchent à donner un cadre légal à l’utilisation de «centres de formation professionnelle» pour «éduquer et transformer» les personnes influencées par une «idéologie extrémiste» et leur offrir des «opportunités d’emploi».
Quelle est la réalité de ces camps ?
Depuis le printemps 2017, le pouvoir chinois a développé l’internement à grande échelle de citoyens musulmans de la province du Turkestan oriental (ou Xinjiang). Selon de multiples témoignages et enquêtes, environ 10 % de la population issue des minorités musulmanes de la région serait détenue dans des centres, visibles sur des images satellite. Sous prétexte de lutte antiterroriste, les autorités arrêtent arbitrairement des citoyens de tout âge. Ils disparaissent sans donner de nouvelles, enfermés sans limite de durée dans des cellules surpeuplées, soumis à un endoctrinement politique intensif.
Sur quelle base se font ces arrestations ?
Toute marque de conviction religieuse, de respect de la tradition locale ou de liens avec l’étranger peut être considérée comme signe de «radicalisation» ou de «sympathie terroriste». Dans une région située à 3 000 kilomètres de Pékin et soumise à un contrôle policier de type totalitaire, la liste des infractions qui sont susceptibles d’envoyer, sans procès, un habitant derrière les barreaux est kafkaïenne. Par exemple : ne pas boire d’alcool ou fumer, utiliser la messagerie WhatsApp, être jeune et porter une longue barbe ou un foulard, participer à des funérailles traditionnelles, parler avec quelqu’un qui a voyagé à l’étranger, ne pas laisser un fonctionnaire dormir dans son lit, tenter de se suicider lors d’une garde à vue, appeler son enfant Medina ou Mohammed, posséder plusieurs couteaux, ne pas régler sa montre sur le fuseau horaire de Pékin, refuser d’écouter la radio d’Etat ou de dénoncer ses proches… La longue liste d’interdits vient de s’allonger avec une loi «antihalal», votée lundi dernier. Selon l’AFP, qui reprend un article publié par la municipalité d’Urumqi, les cadres du Parti ont reçu l’ordre de poster sur les réseaux sociaux ce serment : «Je crois au marxisme-léninisme. Je lève l’étendard et combats jusqu’au bout la mode du halal, ferme dans ma croyance, et même jusqu’à la mort.» Le Global Times, journal officiel du Parti, justifie ce texte par le fait que le halal favorise «l’enlisement dans l’extrémisme religieux».
Comment le Parti justifie-t-il l’existence de ces camps ?
Plusieurs attentats terroristes ont été commis ces dernières années par des commandos ouïghours, faisant une centaine de victimes, et des dizaines de Chinois musulmans qui avaient rejoint l’Etat islamique en Syrie. Mais la radicalisation reste vraisemblablement marginale, et la plupart des arrestations touchent des citoyens lambda. Depuis quelques jours, plusieurs sources affirment qu’un déplacement massif de prisonniers est organisé par train et par avion vers des prisons de provinces éloignées. Samedi, selon l’agence de presse officielle, Xinhua, l’un des plus hauts dignitaires du Parti communiste, You Quan, en visite au Xinjiang, a défendu le processus de «sinisation» qui «promeut la solidarité ethnique et l’harmonie religieuse». Un processus qui vise, entre autres, à faire disparaître la langue locale, apparentée au turc et qui s’écrit en caractères arabes.
Quelle est la réaction de la communauté internationale ?
Pendant de longs mois, les gouvernements et organisations internationales ont gardé le silence, notamment parce que la censure et l’intimidation des Ouïghours, qui s’opèrent jusqu’en France, empêchaient de vérifier les informations. En août, l’ONU a, pour la première fois, réclamé la fermeture des camps. Vendredi, des élus du Congrès américain ont rendu un long rapport sur la «répression sans précédent» de la minorité musulmane chinoise qui, selon eux, pourrait constituer un «crime contre l’humanité», et ont annoncé leur intention de nommer Ilham Tohti, un universitaire pacifiste ouïghour emprisonné à vie, pour le prix Nobel de la paix 2019. Depuis l’interpellation de ce dernier en 2014, les arrestations d’intellectuels et professeurs chinois musulmans se sont multipliées. Mercredi, l’Ecole pratique des hautes études (EPHE) a dénoncé la condamnation à mort de son docteur honoris causa, le géographe chinois d’origine ouïghoure Tiyip Taspholat, qui avait disparu en février 2016 à Pékin. Selon le président de l’EPHE, il est reproché à son homologue de l’université du Xinjiang de «nourrir un attachement secret pour sa culture». •