Remaniement Edouard Philippe soupçonné de tirer la barre à droite
Alors que l’annonce du nouveau gouvernement se fait attendre, des macronistes de la première heure suspectent le Premier ministre de vouloir placer ses anciens amis de LR. Le tout dans un climat tendu au sein de la majorité.
Aurait-il imprudemment tenté le sort ? Le 11 septembre, à Tours, Edouard Philippe s’exprime devant les parlementaires de La République en marche (LREM). Dans sa longue exhortation à poursuivre le travail entamé, le Premier ministre évoque aussi, pour s’en moquer, les attaques auxquelles doivent s’attendre les élus macronistes. Une en particulier lui semble dérisoire: «On cherchera à enfoncer des coins entre les membres du gouvernement ou, plus incroyable encore, des nuances entre le Président et le Premier ministre, avertit le chef du gouvernement. Ceux qui s’avanceront dans ce chemin ont intérêt à prendre des provisions car ils seront bien seuls et n’auront pas grand-chose à se mettre sous la dent !»
Il n’était pas inutile de s’y préparer. Un mois plus tard, l’hypothèse d’un discret bras de fer entre les deux hommes est le tube du moment. Problème : ses partisans ne sont pas si «seuls» et les dernières péripéties de l’exécutif leur offrent une abondante matière. «Tempête», «putsch», «bras de fer» : autant de métaphores utilisées par certains médias pour qualifier les relations entre l’Elysée et Matignon. La théorie est entretenue par l’interminable attente du remaniement et par de nombreuses citations anonymes émanant des «entourages» du chef de l’Etat et de son Premier ministre. A les croire, les discours loyaux du Normand dissimuleraient de considérables ambitions personnelles ; et le remaniement serait, pour l’ex-bras droit d’Alain Juppé, l’occasion d’un noyautage du gouvernement par sa famille politique d’origine. Alors qu’il n’a jamais marqué publiquement la moindre distance avec le chef de l’Etat, voilà le Premier ministre dépeint en grand corrupteur du macronisme.
«Sous la mitraille»
C’est en vain que les communicants de l’exécutif tentent, ces derniers jours, de faire valoir un contre-récit. Du côté de l’Elysée, officiellement, «personne ne pense que Matignon et les juppéistes auraient lancé un putsch. On sait au contraire qu’ils se donnent un mal fou pour ne pas entrer dans ce jeu. Ils savent que soit on coule ensemble, soit on survit ensemble.» Mais «il n’y a rien à faire», constate, accablé, un ami d’Edouard Philippe. «La presse veut l’histoire de la tension. Quoi qu’on dise, personne n’écoute.»
Un entretien d’une heure et demie entre Emmanuel Macron et Edouard Philippe, mardi dernier dans la matinée, a enflammé les imaginations. Le chef de l’Etat a demandé à son Premier ministre de lui soumettre les noms de potentiels ministres. Mais la liste soumise par celui-ci lui semble déséquilibrée. «Le Premier ministre a fait des propositions, certaines ont été retenues, pas d’autres», confirme un conseiller d’Emmanuel Macron, qui n’y voit que la stricte «logique des institutions». Pour un autre, «il faut respecter l’ADN d’En marche, l’équilibre entre société civile et monde politique, gauche et droite». Le remaniement se voit donc reporté à plus tard. Depuis, le silence de l’exécutif encourage toutes les rumeurs. Le Premier ministre est ainsi réputé avoir avancé les noms de plusieurs personnalités issues de la droite, comme le maire juppéiste d’Angers Christophe Béchu ou le sarkozyste Frédéric Péchenard. Il aurait aussi souhaité voir monter en grade deux des ministres issus de LR : Gérald Darmanin (Action et Comptes publics) et Sébastien Lecornu (Transition écologique). Cette version est réfutée par l’Elysée, où l’on assure que «des figures de gauche ont été proposées par le Premier ministre et de droite par le Président» – ce serait notamment le cas de Frédéric Péchenard.
La situation n’en alarme pas moins certains cercles macroniens et réactive de vieux procès à l’égard d’Edouard Philippe, Premier ministre inattendu, soupçonné de ne s’être jamais fondu dans le moule macroniste, le Havrais n’est pas membre du parti majoritaire : ce que certains voient comme un atout, pour élargir la base du mouvement, d’autres l’acceptent toujours mal. «Moi,
«Moi, j’ai quitté le PS et j’ai pris ma carte chez LREM. Lui, je ne sais pas s’il est encore chez LR, mais je sais qu’il n’est pas membre de LREM. Je ne suis pas contre une recomposition, mais c’est notre mouvement qui doit en être le pivot.» Un macroniste
j’ai quitté le PS et j’ai pris ma carte chez LREM. Lui, je ne sais pas s’il est encore chez LR, mais je sais qu’il n’est pas membre de LREM, remarque un macroniste. Je ne suis pas contre une recomposition, mais c’est notre mouvement qui doit en être le pivot.» L’actualité donne un nouveau souffle à ces réserves. Certains redoutent que le juppéiste, de plus en plus souvent présenté comme l’indispensable «stabilisateur» d’un président affaibli, veuille marquer de son empreinte le futur gouvernement. «Pendant l’affaire Benalla, Philippe a été le seul à répondre à l’Assemblée sous la mitraille, alors qu’il n’était en rien responsable de ce bordel, fait ainsi valoir un élu LREM soutien du Premier ministre. Et pendant ce temps, qui tient la maison, qui ne pose aucun problème, qui encaisse Benalla, Hulot, Collomb, sinon lui et les ministres de droite ?» En parallèle, des personnalités de centre droit réclament que la majorité s’ouvre davantage à leur sensibilité. L’ancien Premier ministre Jean-Pierre Raffarin et son ami Dominique Bussereau, deux ex-poids lourds de l’UMP, poussent en ce sens, y voyant le moyen de sceller une «coalition» en vue des élections européennes. De quoi alimenter, à la consternation de Matignon, l’idée d’un Philippe travaillant pour ses anciens camarades.
Vives chez certains macronistes, ces préventions existent aussi au Modem, l’autre pilier de la majorité : «Il faut quand même savoir que Frédéric Péchenard est un grand copain d’Edouard Philippe et de son conseiller politique, Gilles Boyer», croit savoir un élu centriste, qui l’explique à Libération. Démentie par l’entourage des intéressés, cette information est censée accréditer la thèse du forcing droitier de Matignon. Agacé, un marcheur de la première heure suggère que le chef du Modem n’est pas étranger aux difficultés des derniers jours: «Ceux qui croient au scénario d’un bras de fer Elysée contre Matignon oublient un peu vite Bayrou. S’il y en a un qui est allergique à tout ce qui touche de près ou de loin Sarkozy, c’est bien lui.» Sur RTL ce dimanche, l’intéressé s’est employé à calmer le jeu. Qualifiant de «fausse information» des propos rapportés dans lesquels il déplorait la «déliquescence» du pouvoir.
Faut-il déduire, de ces querelles d’entourage, une rupture entre le chef de l’Etat et son Premier ministre ? «J’ai passé du temps avec l’un et l’autre ces derniers jours, je n’ai pas senti de rupture, témoigne un ministre. S’il y a quelque chose, c’est caché tout au fond de leur téléphone.» Pour un connaisseur du Premier ministre, «parler de brouille parce qu’Edouard voudrait des types de droite partout, c’est à pleurer de rire. Il s’engueulerait avec le Président pour récupérer “Agir” et leurs quatre députés ? L’UDI, où ils sont vingt, ils se détestent tous et sont dans l’opposition ? C’est très mal le connaître».
«Ça sent le cramé !»
Moins affirmatif, un député LREM évoque, lui, une «tension saine, et assez naturelle après seize mois au pouvoir… Enfin j’espère !». Une figure de la majorité s’interroge: «Le défaut de Philippe, c’est qu’il est susceptible et rancunier. Pour qu’il montre à ce point sa colère contre Collomb, c’est quand même que quelque chose s’est brisé. Même à l’Assemblée, où il reste d’habitude assez cool, on le sent plus raide.» L’opposition, enfin, embraye avec enthousiasme. «En réalité, il n’y a pas d’éléments tangibles, personne ne peut démontrer ce désaccord», reconnaît le patron des députés LR, Christian Jacob. Ce détail ne l’arrête pas : «Alors qu’Edouard Philippe jouait les grands bourgeois que rien n’atteint, on le voit perdre son sang-froid à l’Assemblée. Pour qu’il doive affirmer à ce point que tout va bien, c’est que ça sent le cramé !» Il existe au moins un sujet de divergence que l’Elysée et Matignon pourront difficilement contester : le Premier ministre doit-il présenter sa démission puis soumettre sa déclaration de politique générale à un vote de confiance de l’Assemblée nationale ? C’était le souhait de l’Elysée, très clairement exprimé le 7 octobre dans le JDD par le fidèle Richard Ferrand, actuel président de l’Assemblée nationale: «Si le Président décide d’un remaniement ample et profond, c’est d’évidence qu’il faudra que le nouveau gouvernement demande la confiance», déclarait ce fidèle du chef de l’Etat. Deux jours plus tard, cette exigence était abandonnée, l’Elysée allant même jusqu’à prétendre que Macron estimait qu’une démission n’aurait «aucun sens». Tout indique que le Premier ministre n’est pas étranger à ce brutal changement de pied. Sans doute a-t-il trouvé les arguments pour convaincre le Président que loin de donner «un nouveau souffle», un vote de confiance risquerait plutôt de souligner un relatif affaiblissement du chef de la majorité.