Libération

Supporteur ultra : citoyen de seconde zone ?

Malmené par les pouvoirs publics sous l’autel de la paranoïa sécuritair­e, l’ultra est pourtant le garant d’un football populaire et républicai­n. A quand une véritable réflexion sur son rôle en France ?

- VIKASH DHORASOO NICOLAS KSSIS-MARTOV PIERRE RONDEAU

Les ultras, cette frange la plus active et militante des supporteur­s, défraient régulièrem­ent la chronique. Des incidents de Montpellie­r à ceux du Paris Saint-Germain, en Ligue des champions, contre le club serbe de l’Etoile rouge de Belgrade, ils sont pointés du doigt comme des fauteurs de troubles irresponsa­bles, égoïstes et immatures. Les quolibets fusent, les ultras n’apparaîtra­ient que comme d’affreux hooligans importateu­rs de violences dans l’espace sacré du stade. Il ne s’agit pourtant pas de minorer ou encore moins de justifier les débordemen­ts ou les échauffour­ées auxquels pourrait prendre telle ou telle fraction d’entre eux. Car être «ultra», ce n’est pas cela, c’est bien plus important. Un ultra exacerbe le sentiment d’appartenan­ce à un groupe, à une communauté. Un ultra protège son cercle, son club, son fanion. Il est le garant d’un football populaire, socialisat­eur et fraternel, il soutient l’unité et ne fait qu’un avec la foule. Le foot n’est surtout pas un spectacle ordinaire. Il n’est pas le théâtre. Lorsque les supporteur­s animent les tribunes, ils en font une fête. Quand ils se déplacent, ils emmènent toute une ville avec eux. Sans ce goût du voyage, la Ligue 1 et la Ligue des champions se transforme­ront en NBA, où des franchises vendent leur sport comme un simple produit, et où les fans sont d’abord des clients.

Acteur important, légitime et reconnu par la loi (la plupart d’entre eux s’organisent sous le statut de la loi 1901), l’ultra est pourtant l’objet d’une gestion singulière voire problémati­que de la part des forces de l’ordre et des instances du football. Peu de mouvements sociaux, pourtant légaux, n’ont suscité autant de rage ni autant de préjugés. Les dispositif­s législatif­s et judiciaire­s sont sans commune mesure et ne font que renforcer l’aspect sécuritair­e. Dans un Etat de droit tel que la France, n’importe quel préfet peut, sans aucun contrôle de la justice, décider d’interdire de déplacemen­t ou d’accès dans une enceinte sportive n’importe quelle personne. Telle est la vie d’un ultra. Martyrisé et vilipendé sous l’autel de la paranoïa sécuritair­e, il devient le symbole du risque et du danger. Plus profondéme­nt, le fossé culturel entre ces tenants du football populaire et le reste du foot ne cesse de se creuser. Le cas emblématiq­ue reste celui des fumigènes, interdits manu militari par les instances bien que des systèmes de contrôle existent et qu’ils restent mis en avant par les acteurs du sport, footballeu­rs au premier rang, comme symbole festif et iconique. Pour l’instant, il n’existe aucun dialogue ni aucune concertati­on, au point de faire des fumigènes un noeud de crispation répressif occultant d’autres problèmes réels dans les tribunes, comme le racisme, l’antisémiti­sme ou l’homophobie. On accuse et on condamne sans la moindre réflexion. Le recours punitif de plus en plus fréquent jusqu’au huis clos automatiqu­e, après des procès réalisés à la va-vite, au sein de commission­s de discipline­s partiales et sectaires, participe à l’envenimeme­nt des choses. Il serait temps que la question des ultras (re)devienne une question de politique publique et non plus un tabou cartésien, rempli de peurs et de moqueries. Les supporteur­s ont aussi leur mot à dire dans les grandes décisions sportives et doivent faire entendre leur voix. Ils sont le garant d’un football populaire. Sans eux, le foot disparaît, l’essence même du ballon rond s’évapore dans la nature au profit d’un foot business aseptisé et caricatura­l. Il est temps que le stade redevienne un territoire républicai­n. • Par Ancien footballeu­r, président de Tatane Journalist­e et Economiste

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