Supporteur ultra : citoyen de seconde zone ?
Malmené par les pouvoirs publics sous l’autel de la paranoïa sécuritaire, l’ultra est pourtant le garant d’un football populaire et républicain. A quand une véritable réflexion sur son rôle en France ?
Les ultras, cette frange la plus active et militante des supporteurs, défraient régulièrement la chronique. Des incidents de Montpellier à ceux du Paris Saint-Germain, en Ligue des champions, contre le club serbe de l’Etoile rouge de Belgrade, ils sont pointés du doigt comme des fauteurs de troubles irresponsables, égoïstes et immatures. Les quolibets fusent, les ultras n’apparaîtraient que comme d’affreux hooligans importateurs de violences dans l’espace sacré du stade. Il ne s’agit pourtant pas de minorer ou encore moins de justifier les débordements ou les échauffourées auxquels pourrait prendre telle ou telle fraction d’entre eux. Car être «ultra», ce n’est pas cela, c’est bien plus important. Un ultra exacerbe le sentiment d’appartenance à un groupe, à une communauté. Un ultra protège son cercle, son club, son fanion. Il est le garant d’un football populaire, socialisateur et fraternel, il soutient l’unité et ne fait qu’un avec la foule. Le foot n’est surtout pas un spectacle ordinaire. Il n’est pas le théâtre. Lorsque les supporteurs animent les tribunes, ils en font une fête. Quand ils se déplacent, ils emmènent toute une ville avec eux. Sans ce goût du voyage, la Ligue 1 et la Ligue des champions se transformeront en NBA, où des franchises vendent leur sport comme un simple produit, et où les fans sont d’abord des clients.
Acteur important, légitime et reconnu par la loi (la plupart d’entre eux s’organisent sous le statut de la loi 1901), l’ultra est pourtant l’objet d’une gestion singulière voire problématique de la part des forces de l’ordre et des instances du football. Peu de mouvements sociaux, pourtant légaux, n’ont suscité autant de rage ni autant de préjugés. Les dispositifs législatifs et judiciaires sont sans commune mesure et ne font que renforcer l’aspect sécuritaire. Dans un Etat de droit tel que la France, n’importe quel préfet peut, sans aucun contrôle de la justice, décider d’interdire de déplacement ou d’accès dans une enceinte sportive n’importe quelle personne. Telle est la vie d’un ultra. Martyrisé et vilipendé sous l’autel de la paranoïa sécuritaire, il devient le symbole du risque et du danger. Plus profondément, le fossé culturel entre ces tenants du football populaire et le reste du foot ne cesse de se creuser. Le cas emblématique reste celui des fumigènes, interdits manu militari par les instances bien que des systèmes de contrôle existent et qu’ils restent mis en avant par les acteurs du sport, footballeurs au premier rang, comme symbole festif et iconique. Pour l’instant, il n’existe aucun dialogue ni aucune concertation, au point de faire des fumigènes un noeud de crispation répressif occultant d’autres problèmes réels dans les tribunes, comme le racisme, l’antisémitisme ou l’homophobie. On accuse et on condamne sans la moindre réflexion. Le recours punitif de plus en plus fréquent jusqu’au huis clos automatique, après des procès réalisés à la va-vite, au sein de commissions de disciplines partiales et sectaires, participe à l’envenimement des choses. Il serait temps que la question des ultras (re)devienne une question de politique publique et non plus un tabou cartésien, rempli de peurs et de moqueries. Les supporteurs ont aussi leur mot à dire dans les grandes décisions sportives et doivent faire entendre leur voix. Ils sont le garant d’un football populaire. Sans eux, le foot disparaît, l’essence même du ballon rond s’évapore dans la nature au profit d’un foot business aseptisé et caricatural. Il est temps que le stade redevienne un territoire républicain. • Par Ancien footballeur, président de Tatane Journaliste et Economiste