Libération

Né de ses réunions entre amis pour des reprises de chansons tristes oubliées, le nouveau groupe du Chilien Aldo«Macha» Asenjo franchit le pas et se dévoile sur disque comme sur scène.

Bloque Depresivo, beaux hérauts du boléro

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Dans les vestiaires du stade Víctor-Jara, à Santiago, Macha, penché sur la setlist, une serviette sur les épaules, a presque l’air d’un boxeur, concentré avant de monter sur le ring. Quinze minutes plus tard, il arrive sur scène en trottant et, tout en chantant, vient saluer le public assis dans les gradins pleins à craquer. Le groupe, – dix musiciens sur scène –, passe d’un boléro écrit par Aldo Asenjo (le vrai nom de Macha) à un vieux tube mexicain, puis à une valse péruvienne oubliée que le public connaît par coeur, trop heureux de crier ses paroles de désespoir. Bloque Depresivo assure ce soir-là le premier concert d’un festival en hommage à Víctor Jara, figure majeure de la chanson contestata­ire chilienne, torturé et assassiné dans ce stade il y a quarante-cinq ans, quelques jours après le coup d’Etat militaire de 1973. «Beaucoup de chansons qu’ils interprète­nt, nos parents et grands-parents les écoutaient déjà, se souviennen­t Freddy Fernandez et Mere Pereda, la trentaine, venus voir le concert ensemble. Mais ils apportent de nouveaux arrangemen­ts à ces chansons latinoamér­icaines, ils dynamisent cette musique romantique, et ils la font sortir des bals de grands-mères.»

Port.

«Bloc dépressif», à l’origine, c’étaient les chansons tristes, les ruptures et la solitude chantées entre deux cumbias de Chico Trujillo (l’un des deux autres groupes que mène Macha), et des reprises grattées à la guitare entre amis après les concerts. En Amérique latine, on appelle ça des chansons cortavenas, tristes à s’en ouvrir les veines. Aldo Asenjo les a découverte­s dans les bars à l’ancienne, les rues et les collines du port de Valparaíso, capitale bohème de la région où il a grandi. «J’aimais beaucoup ce style de musique, on l’entendait beaucoup quand on sortait le soir à Valparaíso, mais je n’avais jamais chanté ça avant», explique-t-il le lendemain du concert, attablé dans un café-pâtisserie de Santiago dont la décoration n’a pas bougé depuis les années 80. Le chanteur a commencé sa carrière avec La Floripondi­o, son groupe de punk, rock et ska né dans le Chili des années 90, la décennie du retour à la démocratie. Il fonde ensuite Chico Trujillo, orchestre de cumbia version chilienne, qui dépasse parfois les 100 concerts par an au Chili et à l’étranger.

Vétérans.

C’est vers 2007, lorsque Macha commence à interpréte­r des boléros comme on les chante à Valparaíso, que Bloque Depresivo prend forme. Aujourd’hui, il regroupe des musiciens de Chico Trujillo, mais aussi des vétérans de la musique chilienne. Aux guitares de toutes les tailles et toutes les régions d’Amérique latine, s’ajoutent clavier, trompette, cajón péruvien et de nombreuses percussion­s. «On chantait ça avec une ou deux guitares au début, mais comme on aime être nombreux, on s’est vite retrouvés à dix sur scène», se souvient-il dans un rire sonore, en réajustant un bonnet noir au-dessus de son visage rond.

La formation accueille ponctuelle­ment des invités célèbres, comme Alvaro Henríquez, le leader de l’emblématiq­ue groupe de rock chilien Los Tres, à Paris, en 2012. Un enregistre­ment de ce concert a dépassé les 6 millions de vues sur YouTube. Car jusqu’ici, Bloque Depresivo est resté à l’écart de l’industrie musicale chilienne, et n’avait jamais sorti de disque. «Ce qui nous plaît avant tout, c’est de nous réunir pour jouer cette musique-là ensemble», souligne Aldo Asenjo.

JUSTINE FONTAINE

Correspond­ante à Santiago (Chili) BLOQUE DEPRESIVO

BLOQUE DEPRESIVO

(Barbès Records). Le 16 octobre à l’Alhambra, 75010, le 18 à l’Opéra de Lyon (69). Et en tournée.

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PHOTO ANA FUENTES Macha (deuxième en partant de la gauche) et son «bloc dépressif» en concert.

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