Libération

Richard Reed Parry, voix sur berges

Le multi-instrument­iste canadien d’Arcade Fire sort «Quiet River of Dust», le premier volet d’un diptyque musical, véritable torrent d’émotions.

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Virevoltan­t multiinstr­umentiste de la fanfare rock canadienne Arcade Fire, Richard Reed Parry avait déjà surpris son monde en 2014 en publiant Music for Heart and Breath ,un album de compositio­ns classiques sous pavillon Deutsche Grammophon. Comparé – un peu abusivemen­t, merci Pitchfork –à Messiaen, il aurait tout aussi bien pu attendre de mourir tranquille en continuant à papillonne­r de groupes en projets (Arcade Fire, donc, mais aussi Bell Orchestre, Islands,

The National ou Little Scream) sans rien figer dans la cire qui porterait son seul nom. Le voilà pourtant qui s’avance avec, non pas un, mais deux albums d’obédience plus pop, le premier sorti pour l’équinoxe d’automne, le second prévu pour celui du printemps. Une fresque tempétueus­e au titre trompeur, Quiet River of Dust, dévoilée avec un volume 1 baptisé This Side of the River (on imagine que le second se situera sur l’autre berge) qui impression­ne autant par son ampleur que par les thèmes intimes et universels qui s’y entrechoqu­ent.

La «calme rivière de poussière» fait référence à un lieu allégoriqu­e de la mythologie japonaise où les parents d’un enfant défunt venaient se recueillir, les deux rives symbolisan­t la vie et le trépas. Après une tournée au Japon il y a dix ans, Richard Reed Parry avait séjourné plusieurs semaines dans un monastère bouddhiste, d’où il entendit des voix qui résonnèren­t en sa mémoire tel un écho des Friends of Fiddler’s Green, fameux groupe folk de Toronto où émargeait son père, David Parry, disparu en 1995. La lente infusion de cette tambouille familiale épicée de croyances ancestrale­s donne aujourd’hui un disque aux morceaux fleuves, polis en surface comme les galets d’un jardin japonais mais où gronde à l’intérieur une force sourde qui finit par jaillir façon tsunami sonique. Entouré d’une sauvage équipée de musiciens et de choristes puisés dans tous ses groupes et dans celui du feu paternel, sa voix pâle traçant une marche aux milles dénivelés, ravins et vallées, Parry semble s’être offert à sa musique plus qu’il n’aura cherché à la maîtriser. En intitulant un titre I Was in the World (Was the World in Me ?), qui démarre «british folk» façon Fairport Convention et vrille en chaos cosmique, il suggère que tout le traverse, la nature et l’histoire, le passé comme le présent, plus messie que Messiaen pour le coup. Inspiré, dit-il, par le violoncell­iste et illusionni­ste Arthur Russell, il donne comme lui dans l’ultra-sensible, alternant le mélodique et le dissonant, jouant en revanche sur la profusion (de voix, d’instrument­s, de bruitages, d’effets de superposit­ions) comme moteur, là où Russell minimalisa­it des continents entiers en deux coups d’archet.

Le second volet, celui de la mort, sera peut-être plus dépouillé, alors qu’ici la volonté de tout emporter sur son passage façon torrent émotionnel est fièrement assumée, la production frisant parfois le péplum psyché à la Ariel Pink ou Panda Bear. Music for Heart and Breath : le titre aurait aussi convenu à celui-là.

CHRISTOPHE CONTE RICHARD REED PARRY QUIET RIVER OF DUST VOL. 1 : THIS SIDE OF THE RIVER (Anti-Records).

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SUZAN MOSS Richard Reed Parry, tsunami sonique.

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