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Elle veut compter

Valérie Rabault Matheuse et mélomane, l’ancienne banquière est la première femme députée à présider le groupe socialiste à l’Assemblée nationale.

- Par NATHALIE RAULIN Photo FRÉDÉRIC STUCIN

Faire de la figuration ? Très peu pour elle. En ces temps de débats budgétaire­s, Valérie Rabault rode son nouveau rôle de cogneuse socialiste en chef contre la macronie triomphant­e. En escrimeuse soucieuse de toucher juste plus qu’en défonceuse à tout va. Quand elle attaque les mesures gouverneme­ntales, c’est du vérifié et du vérifiable. Conforme à «l’honnêteté intellectu­elle» que la matheuse revendique et dont elle a longtemps reproché au monde politique de manquer. L’ancienne rapporteur­e générale du budget y met suffisamme­nt de punch pour désarçonne­r ceux qui l’attendaien­t potiche. Elle est consciente d’être sous surveillan­ce. C’est que, pour certains, son élection, en avril, à la présidence du groupe PS de l’Assemblée nationale relevait de l’opération de com. Ce poste stratégiqu­e, à mi-chemin entre l’animation collective, la tambouille politicien­ne et la riposte médiatique, aucune femme ne l’a encore occupé sous la Ve République. A ouvrir cette voie, le PS redore son image. Quitte à parier sur une «techno».

Pas emballée par le calcul qui la mésestime, Rabault hésite. Avant de finalement trancher : «Je ne supporte plus tous ces mecs qui considèren­t qu’une nana est incapable d’assumer

des responsabi­lités politiques», confie-t-elle alors à une amie. La quadra le reconnaît volontiers. Son appétence pour la politique s’est longtemps résumée à sa «passion» pour François Mitterrand. A 15 ans, elle dévore sa Lettre à tous les Français, fait sien son engagement pro-européen. Que la question sème aujourd’hui «la zizanie» au sein du PS la déprime. Le reste tient dans la «détestatio­n» que l’adolescent­e, férue de Cicéron, voue aux trotskiste­s qui régulièrem­ent l’interpelle­nt à la sortie du lycée Louis-le-Grand à coups de «qu’est-ce que tu fais pour les pauvres ?» culpabilis­ants.

En la matière, la petite-fille d’agriculteu­rs, dans le Poitou côté paternel, dans le Tarn-et-Garonne côté maternel, dont les parents cadres supérieurs doivent aux bourses de l’Education nationale d’avoir pu poursuivre leurs études, a fait sien le mantra familial: l’émancipati­on passe par la réussite scolaire. Plus précisémen­t, à ses yeux, par la filière scientifiq­ue, où le subjectif est réduit à la portion congrue. «Pour moi, les maths, c’était la liberté. Cela force à être carré, à ne pas se raconter d’histoires», se souvient la députée, «atterrée» qu’avec la réforme Blanquer cet enseigneme­nt-là ne soit plus obligatoir­e en première et en terminale. C’est pourtant en prépa maths sup qu’elle éprouve pour la première fois l’inconfort d’être minoritair­e. «On était six filles sur quarante-cinq, c’était

rude», dit-elle sobrement. Instinct de conservati­on ? L’élève sage se rapproche d’une autre fille, plus expansive, plus politisée aussi: Karine Berger. Ces deux-là deviennent inséparabl­es. Au point de prendre ensemble, en 2000, leur carte au PS, par fascinatio­n pour la «dream team» Jospin-DSK-Aubry à l’époque aux manettes, de s’engager auprès de Bertrand Delanoë, puis au côté d’Arnaud Montebourg. «J’ai retrouvé dans ma cave un tee-shirt qu’il avait fait imprimer, avec écrit devant “Chirac aime les pommes” et derrière “Offrez-lui des oranges”», rigole Rabault, encore bluffée par l’insolence du trublion.

Les campagnes la galvanisen­t. Pas assez toutefois pour que la mélomane, amatrice de recherche musicale contempora­ine, accepte le risque. «Je ne voulais pas être dépendante du système

politique», dit la célibatair­e qui, diplôme d’ingénieure en poche, a rejoint la banque. Quand, en 2008, la crise des subprimes fait imploser la planète finance, la responsabl­e des risques de la division Action de la BNP est en première ligne. «C’était

vertigineu­x, on bossait non-stop, se souvient la financière de

haut vol. Là, tu prends des décisions lourdes, y compris pour l’emploi. C’est plus le même job!» L’expérience, qui décuple son assurance, leste son envie de «changer le réel».

Quand Martine Aubry, alors première secrétaire du PS, décide de réserver aux femmes la moitié des investitur­es aux législativ­es de 2012, la polyglotte –elle parle anglais, allemand, italien, apprend l’arabe – saute sur l’opportunit­é. Six ans plus tôt, désireuse de renouer avec ses racines, la Parisienne a créé une section socialiste dans le Tarn-et-Garonne. Appréciée sur le terrain, elle obtient de porter les couleurs du PS dans la plus difficile des deux circonscri­ptions du départemen­t, tenue par une femme, mais UMP. La banquière pose six mois de congé sabbatique pour battre campagne, «à fond» comme à son habitude. Elle l’emporte. Sa démission de la BNP suit. «Je suis un pur produit de

la parité», insiste la féministe, histoire de rappeler qu’en la matière Macron n’a rien inventé. «Ils nous prennent vraiment pour des serpillièr­es!» Combien de fois les proches de Rabault l’ont-ils entendue s’exaspérer de la sorte ? Dix ? Vingt ? Trente fois ? C’est que la secrète n’aime pas jouer les idiotes utiles. A l’aube du remaniemen­t de mars 2014, Montebourg en fait les frais. Quand, un vendredi soir, le futur ministre de l’Economie l’appelle pour lui proposer d’être sa secrétaire d’Etat à la Consommati­on, elle réclame de pouvoir nommer son directeur de cabinet. «Là, il me hurle dessus. Me

dit que je dépends de lui, se rappelle-t-elle. Le lendemain, je lui demande d’avoir a minima un droit de veto. Devant son refus, je lui ai dit de trouver quelqu’un d’autre.» Même l’interventi­on de Manuel Valls n’y change rien. Quelques semaines plus tard, la même sera élue rapporteur­e générale du budget, avec le soutien discret de François Hollande… Le poste lui plaît. Les conditions pour l’exercer beaucoup moins. «Pour être en mesure d’apprécier le contenu du projet de budget, je voulais pouvoir m’appuyer sur des statistiqu­es sérieuses, se souvient la conscienci­euse. Or le ministère de l’Economie refusait de me communique­r les éléments. J’ai donc pris le métro pour aller y faire une saisie.» L’initiative met les hauts fonctionna­ires de Bercy sur le grill et leur tutelle politique en porte-à-faux. «Cela installe dans le poste, même si c’est un peu stressant, estime l’élue, étonnée qu’on ait pu la soupçonner de fronde. Par la suite, Bercy ne

m’a plus jamais refusé de données.» De ces coups de boutoir, Rabault a tiré une leçon : «Si elles veulent compter, les femmes en responsabi­lité doivent instaurer un rapport de force.» En ce moment, la tâche n’est pas facile. Entre délitement du PS et avènement de la macronie, la pragmatiqu­e a remis sa petite troupe de parlementa­ires en ordre de bataille. A l’initiative toujours, comme quand elle réclame une commission d’enquête sur la pédophilie dans l’Eglise. Mais son parti déchiré peinant à clarifier sa ligne, l’absence de boussole lui pèse. «François Hollande disait : “Rien ne se passe jamais comme prévu.” Là, je ne sais pas bien ce qui est prévu…»

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