Libération

«Félix», destin animiste Eric-Emmanuel Schmitt chez les «féticheurs»

- Par CLAIRE DEVARRIEUX

Un roman tiré à 1000 exemplaire­s s’étiole, solitaire, dans les rayons, sauf si un libraire se saisit de son cas pour le défendre haut et fort. Un roman tiré à 100 000 exemplaire­s s’aligne en hautes et larges piles dans toutes les librairies et points de vente : on le voit bien, et on le repère de loin. Eric-Emmanuel Schmitt, dont Félix et la source invisible est en flatteuse position cette rentrée (loin derrière Sérotonine, il ne faut quand même pas exagérer), appartient au club désormais très restreint des 100 000. Cet heureux auteur a une seconde actualité, ou une actualité parallèle, si on veut : le mal que dit de lui Patrick Rambaud dans les colonnes de l’Obs. Ils siègent l’un et l’autre au prix Goncourt. Remarque de l’interviewe­ur, David Caviglioli : «Le jury s’est beaucoup renouvelé ces dernières années.» Réponse de Rambaud (qui publie de son côté, chez Grasset, Emmanuel le Magnifique, tiré à 25000 exemplaire­s): «Il y a eu pas mal de morts. Sabatier, Semprun. Avec Virginie [Despentes], on s’entend bien. Elle renouvelle, elle lit d’autres choses. Il y a aussi l’autre, le mastodonte… Son nom m’échappe.» Eric-Emmanuel Schmitt, souffle Caviglioli. «Voilà, dit Rambaud. Je ne me compte pas parmi ses admirateur­s, mais il y a déjà eu des auteurs dans son genre dans le jury. Il y a eu Armand Salacrou. Alors pourquoi pas lui. Ce qui est frappant, c’est qu’il parle tout le temps de lui. C’est le seul sujet qui l’intéresse. C’est bien. Ça simplifie les conversati­ons. Il suffit de l’écouter parler. Il croit être quelqu’un de très important. Et il l’est, certaineme­nt. Vous voyez, je suis bienveilla­nt. C’est mon côté jésuite.» La violence est partout.

Comment l’entendez-vous?

A écouter Schmitt chez Augustin Trapenard sur France Inter le 9 janvier, il ne paraissait pas imbu de lui-même. Il était très gentil. Ce n’est évidemment pas incompatib­le, mais cet homme-là, qui s’exprimait avec naturel, était tout en rondeur et, selon le mot à la mode, bienveilla­nce. C’est son registre.

Félix est-il heureux ?

Le narrateur du roman a douze ans. Tout allait bien dans sa vie jusqu’à ce que sa mère s’abîme dans une profonde dépression. Félix appelle la famille à la rescousse, en l’occurrence les piliers du bar que tient sa mère à Belleville. Et surtout, il fait venir son oncle: «Oncle Bamba écarta les paupières en s’exclamant : —C’est quoi, une dépression? On n’a pas ça, en Afrique.» Les héros sont noirs, en effet, et d’origine sénégalais­e. Félix, de son côté, est né d’un père antillais, dont il va bientôt faire la connaissan­ce. Il s’appelle le Saint-Esprit, c’est une des blagues du livre, rédigé avec le sourire et une certaine décontract­ion: «Maman m’élevait seule, car elle m’avait conçu avec le Saint-Esprit.»

Qu’est-ce que

«la source invisible»?

C’est «l’au-delà du visible». Nous l’ignorions, mais ce nouveau roman fait partie d’une série, le Cycle de l’invisible. Chaque fois, il s’agit d’aborder une religion ou spirituali­té : bouddhisme, soufisme, christiani­sme, judaïsme, confuciani­sme. Félix, c’est l’animisme. Un «féticheur» rend sa raison, sa joie de vivre et sa mémoire à la dépressive dont le passé est lourd: «Les plantes, les animaux, les humains se répartisse­nt l’énergie vitale. En reconnaiss­ant cette énergie commune à travers ton totem, tu rétablis la circulatio­n et tu cumules des forces.» •

ÉRIC-EMMANUEL SCHMITT FÉLIX ET LA SOURCE INVISIBLE

Albin Michel, 230 pp., 17 €.

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A. DOYEN. OPALE. LEEMAGE Eric-Emmanuel Schmitt appartient au club restreint des «100 000».
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