CESARE BATTISTI Arrêté en Bolivie, renvoyé en Italie
Réfugié en France puis au Brésil, il avait échappé à l’extradition pendant trentehuit ans. L’ancien activiste italien d’extrême gauche a été arrêté en Bolivie dans la nuit de samedi à dimanche. Condamné à la perpétuité pour avoir participé à quatre homicides, il va être rapatrié dans son pays natal.
Les lunettes de soleil et la fausse barbe n’auront pas suffi. Dans une rue de Santa Cruz de la Sierra, au coeur de la Bolivie, les forces d’intervention locales et d’Interpol ont repéré et arrêté, dans la nuit de samedi à dimanche, Cesare Battisti, malgré son accoutrement. Peut-être épuisé par ses trentehuit ans de cavale sur plusieurs continents, l’ancien activiste d’extrême gauche italien qui avait moins de 2 dollars en poche et «sentant l’alcool», selon l’AFP, n’a pas résisté avant d’être embarqué, assure le Corriere della Sera. A 63 ans, celui qui s’est reconverti en auteur de polars à succès va bientôt retrouver sa contrée natale, qu’il espérait ne jamais revoir vivant.
«MACHINATION»
Et pour cause, il avait quitté l’Italie en trombe en octobre 1981, depuis la prison de Frosinone dont il s’était évadé grâce à l’aide de ses camarades des Prolétaires armés pour le communisme (PAC). Membre de ce groupe classé comme terroriste par l’Italie, il sera condamné par contumace, douze ans plus tard, à la réclusion à perpétuité pour deux meurtres – celui du surveillant de prison Antonio Santoro et du policier Andrea Campagna – et pour deux complicités d’homicide commis en 1978 et 1979 (lire ci-dessus). En avril 2012, il racontait dans un
portrait à Libération: «Tous ceux qui sont bien informés savent qu’il n’y a aucune preuve contre moi. Que je suis innocent. Le reste, c’est de la machination. En interview, 90 % des questions portent là-dessus. C’est pour m’enfermer dans ce rôle, dans ce passé avec lequel je n’ai plus rien à voir.» Au moment du verdict, Battisti est loin de la cour d’appel de Milan. Devenu gardien d’immeuble, il vit depuis 1990 en France où il a fondé une famille. Exilé au Mexique, la «doctrine Mitterrand» l’a alors convaincu de retourner en Europe. Le président socialiste s’est engagé, en 1985, à ne pas extrader les anciens activistes italiens ayant rompu avec leur passé, au plus fort des «années de plomb». Cette ligne fut suivie pendant près de vingt ans par les gouvernements de droite comme de gauche. Jusqu’au revirement de Jacques Chirac en 2002, en raison du durcissement post-11 Septembre de la lutte antiterroriste. Pour Battisti, c’est le signal que la cavale doit reprendre. En février 2004, l’Italien est arrêté à Paris à la demande de l’Italie. Au début de l’été, la chambre d’instruction de la cour d’appel de Paris approuve l’extradition. Deux mois plus tard, alors qu’il est sous contrôle judiciaire, l’ex-militant disparaît de son domicile parisien. Pour réapparaître au Brésil. Cette autre terre d’accueil des combattants d’ex- trême gauche recherchés lui laisse trois ans de répit, avant de l’arrêter en 2007 et de le placer en détention préventive pendant les quatre années suivantes.
La liberté est finalement offerte à Battisti par l’ex-président de gauche Luiz Inácio Lula da Silva. Comme une gifle à ses homologues italiens, ce dernier décide pour son dernier jour de mandat, le 31 décembre 2010, de mettre son veto à l’extradition du fugitif. Battisti revit. Il est relâché l’année suivante et obtient des papiers d’identité brésiliens. Il peut enfin souffler.
Mais l’alternance politique n’est décidément pas de bon augure pour l’ex-révolutionnaire italien. En 2016, la chute sur fond de corruption du gouvernement de gauche de Dilma Rousseff place à la tête de l’Etat le conservateur Michel Temer, celui qui signe l’acte d’extradition pour l’Italie, le 14 décembre 2018 . Juste avant de donner les clés du pouvoir à l’ultraconservateur Jair Bolsonaro, élu fin octobre.
VESTIGES
Alerté, le romancier tente alors une dernière fuite. Destination la Bolivie, dont le Président, Evo Morales est l’un des derniers vestiges de la vague de dirigeants de gauche en Amérique latine. La proximité politique ne sera pas suffisante. Morales tient à garder des relations cordiales avec Brasília et laisse l’équipe d’Interpol formée de plusieurs enquêteurs italiens intervenir sur son territoire.
Le filet se resserre samedi en fin d’aprèsmidi. «Le terroriste italien Cesare Battisti a été arrêté en Bolivie et sera ramené d’ici peu au Brésil, d’où il sera probablement envoyé en Italie pour purger sa peine à perpétuité, en accord avec la décision de la justice italienne», tweete Filipe Martins, conseiller spécial de Bolsonaro pour les affaires étrangères. Dans la foulée, ce dernier félicite les autorités responsables de l’arrestation de Battisti. Le président d’extrême droite, qui a pris ses fonctions le 1er janvier, avait claironné pendant sa campagne, puis de nouveau en décembre, son intention d’extrader l’ancien militant. Sur Twitter, il avait assuré que le gouvernement italien pouvait «compter» sur lui pour renvoyer le fugitif vers son pays d’origine. Quelques heures après l’arrestation, un avion en partance d’Italie volait déjà en direction de la Bolivie, avec à son bord des policiers et des membres des services secrets italiens, ont indiqué des sources du ministère de l’Intérieur italien à l’AFP. Dimanche soir, Cesare Battisti devait faire escale au Brésil avant d’être extradé vers l’Italie, où il est attendu avec impatience. •