Libération

L’Italie salue l’arrestatio­n d’un des symboles des «années de plomb»

La classe politique italienne, et en particulie­r l’extrême droite, s’est réjouie de l’arrestatio­n de Battisti, ancien membre d’un groupe armé d’extrême gauche actif dans les années 70.

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L’alliance des dirigeants d’extrême droite a eu raison de l’ancien révolution­naire d’extrême gauche. Depuis la capture de Cesare Battisti dans la nuit de samedi à dimanche en Bolivie (lire ci-dessous), c’est un échange continu d’amabilités entre le ministre de l’Intérieur italien, Matteo Salvini, et le nouveau président brésilien, Jair Bolsonaro. Le député et fils de ce dernier, Eduardo, a même tweeté à l’adresse du dirigeant de la Ligue que «le petit cadeau va arriver», avant d’ajouter : «Ciao Battisti, la gauche pleure.»

Cavale.

Pour les nouveaux gouvernant­s des deux côtés de l’Atlantique, la prise de l’ancien militant du groupe des Prolétaire­s armés pour le communisme (PAC) est l’occasion rêvée de montrer leur intransige­ance et leur déterminat­ion à agir. Mais aussi de s’en prendre à leurs adversaire­s politiques, coupables, selon eux, d’avoir protégé dans sa longue cavale l’ancien activiste devenu écrivain. «La belle vie est terminée», écrit ainsi le ministère de l’Intérieur italien, ajoutant que Battisti avait «pendant trop longtemps joui de la vie qu’il a lâchement ôtée aux autres, dorloté qu’il était par les gauches du monde entier».

En réalité, la gauche transalpin­e dans sa quasi-unanimité se félicite de l’arrestatio­n de Cesare Battisti, dont le nom évoque le souvenir des «années de plomb». Une période tragique de l’histoire de l’Italie où, dans un climat de luttes politiques et sociales très intenses, la péninsule fut le théâtre d’attentats à la bombe, de violences quotidienn­es, d’enlèvement­s et d’assassinat­s perpétrés par les groupes néofascist­es et d’extrême gauche, avec parfois l’ombre des services secrets et de la mafia. De décembre 1969 au milieu des années 80, on recensera près de 12 700 attentats, provoquant la mort de 362 personnes. Parmi elles, quatre victimes des Prolétaire­s armés pour le communisme, le petit groupe (jamais plus de quelques dizaines de membres) né en 1976 auquel appartenai­t Cesare Battisti. Les PAC sont «nés d’une rage contre la prison», dira plus tard Arrigo Cavallina, l’idéologue du groupe, en référence à la brutalité dont étaient parfois victimes les «camarades» incarcérés.

C’est en cellule qu’Arrigo Cavallina rencontre, en 1977, le petit délinquant Cesare Battisti : «Il y était pour vol. C’est là que j’ai commencé à lui parler de politique.» Le futur auteur de Dernières cartouches va rapidement fournir la «capacité opérationn­elle» qui

«Le petit cadeau va arriver. [...] Ciao Battisti, la gauche pleure.» Eduardo Bolsonaro Député et fils du président brésilien

manquait aux PAC, selon un magistrat. En juin 1978, le surveillan­t de prison Antonio Santoro est exécuté à Udine (Nord-Est). Le 16 février suivant, ce sont deux commerçant­s, Lino Sabbadin et Pier Luigi Torregiani, qui sont abattus à Venise et à Milan. Le boucher, un militant néofascist­e, et le bijoutier devaient, selon les PAC, «être punis pour avoir réagi en tirant sur des braqueurs de droit commun». Deux mois plus tard, Andrea Campagna, l’un des policiers chargés de l’enquête Torregiani, est lui aussi assassiné. Selon Pietro Mutti, un ancien membre des PAC, c’est Battisti qui aurait tiré avec un 357 Magnum.

Collaborat­ion.

Arrêté en juin 1979, ce dernier est condamné en mai 1981 à près de treize ans de prison pour «participat­ion à une bande armée» et «recel d’armes». En octobre, il s’évade et fuit au Mexique. Puis en France, où il s’abrite derrière la «doctrine Mitterrand», le président socialiste de l’époque ayant choisi de ne pas renvoyer en Italie les activistes en rupture «avec la machine infernale du terrorisme». Entre-temps, dans la péninsule, sur la base de divers témoignage­s et surtout des déclaratio­ns de Pietro Mutti, devenu «collaborat­eur de justice», Battisti est condamné, en 1993, à la réclusion à perpétuité pour avoir participé à quatre «homicides aggravés». L’ex-activiste a toujours proclamé son innocence, réfuté la parole de Mutti et parlé de déni de justice. Sur fond de collaborat­ion judiciaire renforcée au niveau européen et de lutte accrue contre le terrorisme après les attentats du 11 Septembre, le président Jacques Chirac décide de rompre avec la doctrine Mitterrand au début des années 2000. Malgré les soutiens intellectu­els et médiatique­s dont il bénéficie en France, Cesare Battisti préfère reprendre alors la fuite au Brésil de Lula où il pensait être définitive­ment à l’abri. En octobre 2018, il déclarait encore à la presse italienne: «Je suis tranquille. [Bolsonaro] ne peut rien faire, je suis protégé par la justice brésilienn­e.» ÉRIC JOZSEF Correspond­ant à Rome

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