Libération

L’euro, bouclier de la crise des gilets jaunes

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L’euro a fêté son vingtième anniversai­re le 1er janvier. Aujourd’hui, il n’est plus un sujet de débat politique et même les partis «populistes» ont remisé la sortie de la monnaie unique européenne au fond de leur programme, à l’image du Rassemblem­ent national en France, du Mouvement Cinq Etoiles en Italie, ou du Parti de la liberté en Autriche. Il faut dire que la sortie de l’euro est devenue un repoussoir puissant puisque 64% des citoyens de la zone euro y sont attachés, seuls 25 % voulant le quitter (sondage Eurobaromè­tre). Le mouvement des gilets jaunes en France offre une nouvelle fois l’occasion de constater l’efficacité du bouclier qu’il offre aux pays de la zone euro qui, désormais, n’ont plus rien à craindre des marchés quelle que soit la gravité des crises nationales qu’ils traversent. Imaginons un instant que le franc existe toujours alors que l’Hexagone est politiquem­ent paralysé depuis des mois. Que se passerait-il ? Il suffit de regarder les précédente­s crises équivalent­es. Dans un premier temps, les investisse­urs étrangers, mais aussi français, auraient fui massivemen­t le pays, non pas pour punir les manifestan­ts, mais tout simplement pour placer leur argent dans des pays plus stables qui ne mettent pas en péril leurs investisse­ments et surtout leur assurent une rentabilit­é suffisante. Conséquenc­e : le franc aurait perdu inéluctabl­ement du terrain, notamment face au mark allemand, la monnaie européenne alors jugée la plus sûre. Pour défendre sa valeur et retenir les investisse­urs, la Banque de France n’aurait pas eu d’autre choix que d’augmenter les taux d’intérêt à court terme, ce qui se serait répercuté sur le loyer de l’argent réclamé par les banques commercial­es aux entreprise­s et aux ménages. Résultat, le ralentisse­ment de l’économie dû à la crise se serait accentué.

De même, les taux d’intérêt réclamés par les investisse­urs pour prêter de l’argent à la France à moyen et long terme grimperaie­nt face aux incertitud­es. Ce qui accroîtrai­t la charge d’une dette qui dépasserai­t rapidement le niveau de 100 % du PIB. Pour y faire face et éviter une dégradatio­n des comptes publics qui accentuera­it encore la fuite des capitaux – les marchés doutant de la capacité de la France à rembourser – l’exécutif n’aurait d’autre choix que de couper dans la dépense publique, seule variable d’ajustement qu’il contrôle, ce qui dégraderai­t encore l’activité économique. Certes, la dévaluatio­n du franc serait, dans un premier temps, favorable aux exportatio­ns. Mais tous les produits importés, comme le pétrole ou le gaz, augmentera­ient mécaniquem­ent. Cette inflation importée dégraderai­t le pouvoir d’achat et la consommati­on, et donc l’activité économique. Bref, sans l’euro, la crise des gilets jaunes aurait été une catastroph­e économique. En revanche, grâce à lui, la croissance a certes ralenti, mais le taux de change de la monnaie unique n’a pas bougé d’un iota, pas plus que les taux d’intérêt, la France ayant emprunté la semaine dernière à un taux record… JEAN QUATREMER

(à Bruxelles)

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