Libération

Un Giec pour le progrès social

Trois cents chercheurs internatio­naux lancent un manifeste avec des recommanda­tions pour une société plus juste et démocratiq­ue.

- SIMON BLIN et SONYA FAURE

Les gilets jaunes ont replacé la question sociale au centre du jeu politique. Dès lors, comment hâter un nouvel ordre social, plus juste et solidaire ? Comment faire advenir une ère postpopuli­ste? C’est l’objectif d’un ambitieux Panel internatio­nal sur le progrès social pour le XXIe siècle (le Pips), qui publie le résultat de ses recherches : un rapport de 22 chapitres et 800 000 mots d’une part (Rethinking Society for the 21st Century, Presses universita­ires de Cambridge) et un Manifeste pour le progrès social (La Découverte), ouvrage destiné au grand public (quoiqu’un peu fastidieux), d’autre part. Lancé en août 2015 à Istanbul, pensé sur le modèle du Groupe d’experts intergouve­rnemental sur l’évolution du climat (Giec), le Pips a synthétisé les travaux de milliers de chercheurs et fait aujourd’hui autorité sur la question. Il réunit 300 chercheurs internatio­naux, économiste­s, sociologue­s, juristes, philosophe­s ou architecte­s, parrainés par un comité présidé par Amartya Sen (Prix Nobel 1998). Estimant un peu hardiment avoir fait «la synthèse de ce que pensent les chercheurs en sciences sociales aujourd’hui», selon l’expression de Marc Fleurbaey, professeur d’économie à l’université de Princeton (Etats-Unis) qui a dirigé le manifeste, ils posent le constat d’une époque paradoxale : la pauvreté a globalemen­t diminué, la santé s’est améliorée, la démocratie a progressé. Mais les inégalités ont crû partout dans le monde, et le «capital naturel» est malmené. «Volontaris­te», «pragmatiqu­e», le manifeste fait aussi des recommanda­tions pour infléchir la précarité, endiguer le pouvoir exorbitant qu’ont pris les multinatio­nales sur les marchés, comme en politique, et revivifier une démocratie représenta­tive usée.

Si celles-ci restent parfois au stade des grands principes (former les individus tout au long de leur vie, inciter la création de start-up tout en luttant contre «l’uberisatio­n» du travail…), c’est sans doute qu’il n’est pas simple de synthétise­r les travaux de 300 chercheurs issus de discipline­s et de continents différents. Mais aussi parce que le manifeste assume reposer sur des valeurs «oecuméniqu­es», «inclusives», proches des objectifs de développem­ent durable de l’agenda 2030 des Nations unies: rendre à chacun une égale dignité. Progressis­tes, humanistes, libérales (Sen, Keynes et Rawls sont les trois grands auteurs cités). «On ne peut se passer du marché, on peut aller audelà du capitalism­e», proclame le manifeste.

Suggérant d’abandonner la vieille opposition Etat versus marché, les chercheurs invitent à s’appuyer sur l’entreprise privée, sur un «Etat émancipate­ur», plutôt que sur un Etat-providence et sur l’individu, qu’il soit citoyen-militant ou entreprene­ur éclairé. Individual­iste, le progrès social version Pips ? Marc Fleurbaey s’en défend. Seulement, explique-t-il, «nous ne vivons plus dans des opposition­s de classe, mais dans des coalitions variées, difficilem­ent lisibles, comme le montrent les gilets jaunes. Nous proposons aux gens de peser sur les leviers d’action qu’ils ont : l’entreprise qu’ils ont créée, un statut de salarié amélioré». Passage en revue (lire ci-contre) de quelques-unes des recommanda­tions du manifeste.

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