Un Giec pour le progrès social
Trois cents chercheurs internationaux lancent un manifeste avec des recommandations pour une société plus juste et démocratique.
Les gilets jaunes ont replacé la question sociale au centre du jeu politique. Dès lors, comment hâter un nouvel ordre social, plus juste et solidaire ? Comment faire advenir une ère postpopuliste? C’est l’objectif d’un ambitieux Panel international sur le progrès social pour le XXIe siècle (le Pips), qui publie le résultat de ses recherches : un rapport de 22 chapitres et 800 000 mots d’une part (Rethinking Society for the 21st Century, Presses universitaires de Cambridge) et un Manifeste pour le progrès social (La Découverte), ouvrage destiné au grand public (quoiqu’un peu fastidieux), d’autre part. Lancé en août 2015 à Istanbul, pensé sur le modèle du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec), le Pips a synthétisé les travaux de milliers de chercheurs et fait aujourd’hui autorité sur la question. Il réunit 300 chercheurs internationaux, économistes, sociologues, juristes, philosophes ou architectes, parrainés par un comité présidé par Amartya Sen (Prix Nobel 1998). Estimant un peu hardiment avoir fait «la synthèse de ce que pensent les chercheurs en sciences sociales aujourd’hui», selon l’expression de Marc Fleurbaey, professeur d’économie à l’université de Princeton (Etats-Unis) qui a dirigé le manifeste, ils posent le constat d’une époque paradoxale : la pauvreté a globalement diminué, la santé s’est améliorée, la démocratie a progressé. Mais les inégalités ont crû partout dans le monde, et le «capital naturel» est malmené. «Volontariste», «pragmatique», le manifeste fait aussi des recommandations pour infléchir la précarité, endiguer le pouvoir exorbitant qu’ont pris les multinationales sur les marchés, comme en politique, et revivifier une démocratie représentative usée.
Si celles-ci restent parfois au stade des grands principes (former les individus tout au long de leur vie, inciter la création de start-up tout en luttant contre «l’uberisation» du travail…), c’est sans doute qu’il n’est pas simple de synthétiser les travaux de 300 chercheurs issus de disciplines et de continents différents. Mais aussi parce que le manifeste assume reposer sur des valeurs «oecuméniques», «inclusives», proches des objectifs de développement durable de l’agenda 2030 des Nations unies: rendre à chacun une égale dignité. Progressistes, humanistes, libérales (Sen, Keynes et Rawls sont les trois grands auteurs cités). «On ne peut se passer du marché, on peut aller audelà du capitalisme», proclame le manifeste.
Suggérant d’abandonner la vieille opposition Etat versus marché, les chercheurs invitent à s’appuyer sur l’entreprise privée, sur un «Etat émancipateur», plutôt que sur un Etat-providence et sur l’individu, qu’il soit citoyen-militant ou entrepreneur éclairé. Individualiste, le progrès social version Pips ? Marc Fleurbaey s’en défend. Seulement, explique-t-il, «nous ne vivons plus dans des oppositions de classe, mais dans des coalitions variées, difficilement lisibles, comme le montrent les gilets jaunes. Nous proposons aux gens de peser sur les leviers d’action qu’ils ont : l’entreprise qu’ils ont créée, un statut de salarié amélioré». Passage en revue (lire ci-contre) de quelques-unes des recommandations du manifeste.