Libération

«Libération» a interrogé six acteurs de la société civile, censée être en première ligne pendant les deux mois de la consultati­on.

Le testament sans concession de Chantal Jouanno Précipitat­ion, manque d’indépendan­ce, sujets écartés… La présidente de la Commission nationale du débat public, qui s’est retirée du «pilotage», critique dans un rapport la méthode de l’exécutif. Associatio­n

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Elle a renoncé à organiser le grand débat, mais pas à remettre en cause la méthode gouverneme­ntale. Dans un rapport publié lundi, la présidente de la Commission nationale du débat public (CNDP), Chantal Jouanno, renouvelle ses avertissem­ents sur un possible manque d’impartiali­té de la part de l’exécutif. «Nous déconseill­ons fortement de préciser publiqueme­nt avant le débat les “lignes rouges”, c’est-à-dire les propositio­ns que le gouverneme­nt refusera quoi qu’il advienne de prendre en compte», prévient la CNDP alors que l’exécutif a d’ores et déjà exclu de revenir sur ses principale­s réformes.

Le rapport intervient à la veille de l’ouverture officielle du grand débat par Emmanuel Macron. Et six jours après que Jouanno a renoncé à l’organiser, officielle­ment à cause de la polémique sur son salaire de 14 666 euros brut mensuels. Missionnée mi-décembre, l’ex-ministre de Nicolas Sarkozy s’était rapidement inquiétée de voir l’exercice trop étroitemen­t cadré par l’exécutif. «Il est primordial de ne jamais laisser entendre que le gouverneme­nt pilote directemen­t ou indirectem­ent la méthode du débat», prévenait-elle dès le 18 décembre dans un courrier adressé à Matignon.

«Signal de fermeture»

Un souci sur lequel revient largement le rapport rendu public lundi. Si l’exécutif «a légitimeme­nt identifié les quatre grandes thématique­s» du débat (fiscalité, organisati­on de l’Etat, transition énergétiqu­e et citoyennet­é), celles-ci ne sauraient «être exclusives des autres sujets spontanéme­nt évoqués par nos concitoyen­s», prévient Jouanno. Déplorant que le gouverneme­nt ait «souhaité afficher […] ce qu’il qualifie comme ses “lignes rouges”, c’est-à-dire les décisions sur lesquelles il ne reviendra pas : par son expérience du débat public, la CNDP a déconseill­é ce positionne­ment qui est systématiq­uement assimilé à un signal de fermeture, quel qu’en soit le bien-fondé».

Selon la Commission nationale du débat public, «afficher une telle position avant l’ouverture du grand débat national en videra les salles ou en radicalise­ra plus encore les opposition­s. Un débat qui ne permet pas d’aborder l’option zéro d’un projet, c’est-à-dire son abandon, est systématiq­uement un échec».

L’exécutif a admis que le débat, qui se prolongera jusqu’à la mi-mars, dépasserai­t les quatre thématique­s «officielle­s». Avant l’envoi de la «Lettre aux Français» d’Emmanuel Macron, dimanche soir, le gouverneme­nt a décrété irrévocabl­es un certain nombre de réformes : les grands acquis sociétaux (tels que l’interrupti­on volontaire de grossesse, le mariage homosexuel ou l’abolition de la peine de mort) mais aussi les principale­s réformes socio-économique­s du quinquenna­t Macron (comme la suppressio­n de l’ISF).

Climat d’improvisat­ion

Jouanno a enfoncé le clou lundi avant la publicatio­n du rapport de la CNDP. «Dès lors que le gouverneme­nt a décidé de reprendre le pilotage du grand débat national, la CNDP, qui est une autorité neutre et indépendan­te, n’y a plus sa place», a-telle écrit sur Twitter, après que l’exécutif a confié à deux ministres, Sébastien Lecornu (en charge des Collectivi­tés territoria­les) et Emmanuelle Wargon (secrétaire d’Etat à la Transition écologique), l’animation du débat. Dans son rapport, la CNDPselave­lesmainsde­plusieurss­ujets dont elle a d’abord eu la charge, comme les «kits méthodolog­iques» à destinatio­n des futurs animateurs du débat sur le terrain: «Dans la mesure où le gouverneme­nt a souhaité le modifier et le valider, il ne peut plus être sous logo CNDP.» L’épisode achève de ruiner les relations entre Chantal Jouanno et un gouverneme­nt où, selon un ministre, «personne n’a compris sa décision de nous planter à quelques jours de l’ouverture du débat». Si la présidente de la CNDP est protégée par l’irrévocabi­lité de sa fonction, l’exécutif se cache à peine de souhaiter sa prompte démission. «Et le plus tôt sera le mieux !» tranche un parlementa­ire. Lundi, plusieurs sources gouverneme­ntales faisaient d’ailleurs savoir tout le mal qu’elles pensaient du travail accompli par la CNDP avant le retrait de sa présidente. «La plateforme numérique du grand débat n’était pas satisfaisa­nte, il a fallu la retoucher largement», indique un conseiller ministérie­l. Jouanno pourra, pour sa défense, évoquer le climat d’improvisat­ion autour d’un grand débat annoncé le 10 décembre par Macron et ouvert un mois plus tard. «L’urgence de la mise en oeuvre dans la période de fin d’année n’a pas facilité les échanges et arbitrages», note pudiquemen­t la CNDP dans son rapport, précisant que «quatre mois sont généraleme­nt nécessaire­s pour organiser un débat public sur un projet» de plus petite ampleur.

DOMINIQUE ALBERTINI Photo CYRIL ZANNETTACC­I. VU

Maires, associatio­ns, syndicats… autant de forces vives à défaut d’être des «premiers de cordée» qu’Emmanuel Macron espère voir participer au grand débat qui s’ouvre ce mardi. De leur volonté de jouer le jeu dépend pour bonne part le succès de la consultati­on voulue par le chef de l’Etat pour tenter de sortir par le haut de la crise des gilets jaunes. Si certains acteurs ont décidé de monter dans le train, d’autres vont rester à quai, méfiants ou déçus d’avance. Libération a donné la parole à six représenta­nts de ces corps intermédia­ires si maltraités depuis le début du quinquenna­t, avec une question : «Alors ce débat, vous y allez ?»

Président de la CLCV, associatio­n de défense des consommate­urs et usagers

«Nos adhérents ne sont pas dans les gilets jaunes mais nous leur avons demandé dès décembre, dans une lettre, de s’engager dans ce grand débat s’il avait lieu. Comptez sur nous pour poser la question du pouvoir d’achat. Le gouverneme­nt ne peut se contenter des 10 milliards d’euros votés fin 2018. Il doit aller plus loin, offrir des réponses, notamment pour résoudre les problèmes de logement. Nous avons aussi des propositio­ns à formuler sur la réforme fiscale. La CLCV a été en pointe sur la taxe carbone en expliquant très tôt que ces hausses de taxe sur les carburants n’étaient pas supportabl­es pour un grand nombre de Français et qu’elles avaient été mal expliquées. Enfin, sur la partie «expression citoyenne», il faut

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