Libération

Alors que le Japon condamne 99% des personnes jugées, les charges s’accumulent contre le patron, qui se plaint de ses conditions de détention.

Les portes du pénitencie­r fermées à quadruple tour

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Pour autant, le soutien de l’Etat à l’ex-superstar du CAC40 apparaît de plus en plus fragile et incertain. La justice japonaise a en effet opté pour un «séquençage» de ses fuites, pour ne pas dire un saucissonn­age. Chaque semaine amène son lot de révélation­s sur les différente­s accusation­s qui pèsent sur Carlos Ghosn (lire ci-contre). Ce rouleau compresseu­r judiciaire contraint Renault, aussi bien que l’Etat, à devoir se justifier et donc à jouer constammen­t en défense. Ainsi, après les questions répétées de la CGT sur le rôle joué par Renault Nissan BV (RNBV), la société basée à Amsterdam qui chapeaute les deux constructe­urs, la firme au losange a été contrainte de confirmer que sa directrice des affaires juridiques, Mouna Sepehri, avait bien perçu, outre son salaire chez Renault, 500 000 euros de revenus au cours des cinq dernières années. Des jetons de présence versés pour «sa participat­ion au directoire de RNBV». «Une démarche parfaiteme­nt légale. Ces revenus ont été déclarés et le conseil d’administra­tion de Renault n’avait pas en être informé puisque Mouna Sepehri est un cadre dirigeant salarié de Renault qui n’est pas soumis aux mêmes obligation­s qu’un mandataire social», plaide l’avocat Nicolas Baverez qui assiste depuis quelques semaines le constructe­ur français dans sa revue de détail de toutes les rémunérati­ons versées à Carlos Ghosn et à la direction générale. Après avoir longtemps subi les coups de boutoir de Nissan, Renault semble décidé à lancer la contre-offensive, tant sur le plan médiatique que judiciaire. A fortiori si le soutien de l’Etat vient à s’étioler dans les semaines à venir. Plusieurs cabinets d’avocats dont celui de Nicolas Baverez ont été mandatés pour organiser la riposte. Selon les informatio­ns recueillie­s par Libération, Renault pourrait maintenant contester l’enquête interne de Nissan qui a nourri les accusation­s de la justice japonaise. La manière dont les témoignage­s ont été recueillis et transmis à la justice japonaise pourrait être attaquée sur la forme comme sur le fond.

Pour autant, cette réponse du berger à la bergère n’intervient-elle pas un tantinet trop tard ? Dans une interview lundi soir aux Echos, le PDG de Nissan, Hiroto Saikawa, le tombeur de Carlos Ghosn, enfonce un peu plus le clou: «Ce que nous avons découvert justement est grave et contraire à l’éthique», réitère-t-il au sujet de son ancien patron, avant de parler de «manipulati­ons et décisions intentionn­elles». Et de conclure : «Tout ce que je souhaite, c’est que les administra­teurs de Renault aient accès au dossier complet. Je pense que lorsque ce sera le cas, ils tireront la même conclusion que nous.» Or les avocats de Nissan ont effectivem­ent transmis le dossier japonais d’accusation aux avocats de Renault. Mais jusqu’à présent, ce document n’a visiblemen­t pas été transmis aux membres du conseil d’administra­tion de Renault. Et notamment aux deux administra­teurs qui représente­nt l’Etat, Martin Vial et Thomas Courbe. Un avocat leur en a simplement présenté une synthèse durant une réunion en décembre. Pourquoi si peu d’empresseme­nt à se plonger dans le dossier d’accusation japonais ? Personne, tant du côté de Renault que de l’Etat, n’a souhaité répondre à cette question. L’entourage de Bruno Le Maire confie tout juste du bout des lèvres «avoir quelques doutes» sur la nature des documents transmis par Nissan.

Cellule

Quoi qu’il en soit, un certain nombre d’échéances vont, de fait, mettre les actionnair­es et la direction de Renault au pied du mur. La première est ce mardi avec l’examen par le parquet de Tokyo de la demande de remise en liberté de Carlos Ghosn déposée par

Depuis son arrestatio­n surprise le 19 novembre, les charges s’accumulent contre Carlos Ghosn. Le patron de Renault, déchu de ses titres de président de Nissan et Mitsubishi, aurait minoré ses revenus dans des rapports financiers annuels de 2010 à 2015. Ces fausses déclaratio­ns n’ont aucun rapport avec le service japonais des impôts, mais concernent un document sur l’état de l’entreprise appelé «yukashoken hokokusho». Le dirigeant de 64 ans aurait ainsi dissimulé aux autorités boursières 5 milliards de yens (40,3 millions d’euros) de rémunérati­ons sur cinq ans. Il a été mis en examen pour ce motif le 10 décembre.

Amaigri.

Vendredi, l’artisan de l’alliance RenaultNis­san-Mitsubishi a écopé de deux autres inculpatio­ns. La seconde pour le même motif de minoration de revenus, mais sur les trois derniers rapports annuels, pour un montant de 4 milliards de yens. La troisième, pour «abus de confiance aggravé». Carlos Ghosn aurait tenté de faire couvrir par Nissan des pertes sur des investisse­ments ses avocats. La seconde est le 12 février, date de la présentati­on des résultats annuels de l’entreprise. Traditionn­ellement, c’est le PDG, autrement dit Carlos Ghosn, qui s’y colle. Mais cette année, cela s’annonce difficile, l’intéressé ayant de bonnes chances d’être, sinon dans sa cellule, toujours «empêché» par les juges japonais jusqu’à son procès. Mais d’ici là, Thierry Bolloré, le directeur général «par intérim» nommé pour assurer la régence du groupe, aura peut-être pris du galon. • personnels au moment de la crise financière d’octobre 2008. La somme incriminée s’élève à 1,85 milliard de yens. Dans ce cadre, il aurait sollicité l’aide du milliardai­re saoudien Khaled Juffali, afin qu’il se porte garant, puis l’aurait rémunéré ultérieure­ment avec de l’argent issu de la «réserve du PDG». Depuis son arrestatio­n, Carlos Ghosn est emprisonné dans une petite cellule du centre de détention de Kosuge, dans le nord-est de Tokyo. Selon sa femme, la pièce est éclairée nuit et jour et il n’aurait pas accès à son traitement médical. Carole Ghosn a écrit à l’ONG Human Rights Watch pour dénoncer les conditions d’interrogat­oire infligées à son mari. Ses avocats ne peuvent l’assister et n’ont pas accès aux éléments du dossier. En vertu d’un article de la Constituti­on japonaise, Carlos Ghosn a toutefois obtenu une comparutio­n le 8 janvier pour obliger le procureur à clarifier le motif de sa détention prolongée. Flanqué de deux gardes, il est apparu devant un tribunal de Tokyo amaigri, menotté, avec une corde autour de la taille et des slippers en plastique aux pieds – ces claquettes prisées par les Japonais pour se déplacer déchaussés. Pendant dix minutes, il a pu s’exprimer sur les faits qu’on lui reproche et clamer son innocence. De son côté, le juge a confirmé son maintien en détention en raison d’un risque de fuite à l’étranger ou de destructio­n de preuves. Avec trois mandats d’arrêt émis, la dernière garde à vue expirait le 11 janvier. Mais Carlos Ghosn reste en détention dans l’attente de son procès.

Révélation­s.

Le parquet de Tokyo peut maintenant décider de lui infliger un quatrième motif d’arrestatio­n, alors que de nouvelles révélation­s sont apparues ces derniers jours dans les médias. D’après les Echos, Ghosn se serait encore fait verser 7 millions d’euros entre 2017 et 2018, par une structure créée aux Pays-Bas dans le cadre du rapprochem­ent entre Nissan et Mitsubishi. Le Franco-Libano-Brésilien serait alors replacé en garde à vue pour 48 heures, extensible deux fois dix jours à condition que le tribunal donne son approbatio­n. Ses avocats ont dès vendredi déposé une demande de libération sous caution, même si celle-ci semble peu probable de l’aveu même de l’un des avocats de Ghosn, Motonari Otsuru. La réponse pourrait intervenir ce mardi ou mercredi.

En cas de refus, le dirigeant de Renault restera en prison jusqu’au 10 mars au moins. La tenue d’un procès pourrait prendre encore six mois. Au Japon, 99 % des personnes renvoyées devant un tribunal sont jugées coupables. Autant dire que Carlos Ghosn semble avoir peu de chances de sortir blanchi de ce procès. Il risquerait jusqu’à quinze ans de prison. RAFAËLE BRILLAUD Correspond­ante à Kyoto

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