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ET POURTANT, IL PEUT GAGNER

Plus impopulair­e que jamais il y a encore quelques semaines, Macron pourrait sortir en tête des urnes en mai. Décryptage de sa stratégie.

- Par ALAIN AUFFRAY

Une victoire serait possible. Malgré la brutale disgrâce du chef de l’Etat, la majorité semble en mesure de sortir en tête du scrutin européen du 26 mai. Un sondage Ifop la donnait cette semaine à 24 % devant le Rassemblem­ent national (20 %). A l’exception de l’UMP de Nicolas Sarkozy, large vainqueur des élections de 2009, les derniers scrutins européens se sont soldés par des sanctions du pouvoir en place. Elu sur un projet européen, Emmanuel Macron veut faire exception. Ses équipes s’emploient à nouer des alliances en France comme dans tous les pays de l’UE. Avant de dévoiler sa liste pro-européenne, le chef de l’Etat veut formuler mi-mars de nouvelles propositio­ns pour «une Europe qui protège».

Quelles propositio­ns ?

De l’art d’utiliser la force de l’adversaire. Pour la campagne européenne, Macron est tenté de s’emparer du slogan agité en Grande-Bretagne par les partisans du Brexit. «Let’s take back control», avaient martelé ces derniers, emportant, contre Bruxelles, l’adhésion des électeurs du référendum de juin 2016. «Reprenons le contrôle», mais celui de l’Union européenne, devrait dire en substance le chef de l’Etat. Ce sera sa réponse à la colère des gilets jaunes, qualifié par son ministre Gérald Darmanin de «Brexit intérieur». Une forme d’aïkido politique déjà expériment­ée avec le détourneme­nt de la devise trumpienne –«make America great again»– transformé­e en apologie de l’accord de Paris –«make our planet great again».

A quelques jours de l’entrée en vigueur du Brexit (en principe le 29 mars), Macron a prévu de présenter un «projet européen renouvelé». Après «l’initiative pour l’Europe», présentée à la Sorbonne le 26 septembre 2017, il s’agira, explique l’Elysée, de mettre sur la table «quelques propositio­ns fortes», réponses politiques aux questions qui ont surgi ces dix-huit derniers mois, favorisant, partout en Europe, les poussées populistes. Salué par les europhiles, le discours de la Sorbonne proposait aux responsabl­es politiques de l’UE un agenda de réformes jusqu’en 2024. A moins de trois mois du renouvelle­ment du Parlement de Strasbourg, Macron veut cette fois parler aux Français. Leur démontrer que c’est dans l’Union, et non pas dans le repli derrière les frontières nationales, qu’est la réponse à leurs problèmes : qu’il s’agisse d’immigratio­n, de politique industriel­le, de défense ou de transition écologique. Discours, interview, tribune? La forme de cette nouvelle initiative n’est pas encore arrêtée. «Reprendre le contrôle de nos vies, de nos territoire­s: c’était le mot d’ordre des brexiters, ce doit être le coeur de la réponse aux gilets jaunes», confiait le chef de l’Etat le 31 janvier, à quelques journalist­es. «Reprendre le contrôle, c’est faire en sorte, par exemple, que les règles changent et qu’une fusion SiemensAls­tom [repoussée par la Commission, ndlr] soit possible», ajoute son conseiller pour les affaires européenne­s, Clément Beaume. «Alors que les Anglais sont en plein doute, on commence à voir remonter, jusqu’en Italie, le sentiment d’adhésion à l’UE», il faut selon lui «profiter du contexte pour changer de braquet et accélérer».

Même s’il continue à définir son camp comme étant celui des «progressis­tes» – son bras droit démissionn­aire Ismaël Emelien doit d’ailleurs publier prochainem­ent un «manifeste» sur le sujet–, le chef de l’Etat a donc abandonné l’idée, développée l’été dernier, de faire de l’opposition nationalis­tes contre progressis­tes son principal argument de campagne. Bousculé par les gilets jaunes, il renoue avec la

«Alors que les Anglais sont en plein doute, on commence à voir remonter, jusqu’en Italie, le sentiment d’adhésion à l’UE.» Clément Beaune conseiller Europe de Macron

défense d’une Europe «souveraine» et «protectric­e» qui était déjà au coeur du discours de la Sorbonne.

Un groupe charnière?

Fraîchemen­t installé dans son nouveau quartier général, dans le IIe arrondisse­ment de Paris, le directeur de la campagne, Stéphane Séjourné, assure qu’il n’est pas question de lancer la campagne proprement dite avant début avril. L’ancien conseiller de l’Elysée explique avoir «benchmarké» les dernières campagnes, notamment celle de la droite en 2009, l’une des rares victorieus­es pour le pouvoir en place (l’UMP avait récolté 28 % des suffrages). Cette bataille n’avait démarré qu’à peine plus d’un mois avant le scrutin. Son lancement avait été marqué, le 6 mai 2009 à Nîmes, par un grand discours de Nicolas Sarkozy qui plaidait, déjà, pour une «Europe qui protège».

Peu pressés d’entrer en campagne, les stratèges de la majorité s’emploient en revanche activement à

nouer des alliances, tant au niveau national qu’à l’échelle de l’UE. Deux chantiers bien distincts confiés à des équipes différente­s. Au niveau européen, le clan présidenti­el prépare la bataille de l’après-26 mai, celle qui décidera de l’importance du futur groupe centriste et de sa capacité à construire des majorités au Parlement européen. En France, l’objectif est d’élargir au maximum un «rassemblem­ent des progressis­tes», de la droite juppéiste à la gauche écolo-libérale, dans une liste très ouverte à la société civile. Au QG de campagne, un comité de pilotage des européenne­s se réunit chaque lundi sous la présidence du délégué général de LREM, Stanislas Guerini. L’ex-député européen Daniel Cohn-Bendit y participe, tout comme Pascal Durand, député écologiste sortant. Le cercle s’élargit cette semaine avec les représenta­nts du Modem. François Bayrou a désigné Régis Lefebvre, consultant en communicat­ion et vieil ami du Premier ministre, Edouard Philippe, pour codiriger la campagne avec Séjourné. Les ex-LR juppéistes, regroupés au sein d’Agir, font également partie de l’équipe. L’ambition déclarée est d’arriver en tête, devant les listes LR et, surtout, RN. Pour les dirigeants de la majorité, ces deux partis sont des «sortants» qui ont des comptes à rendre. L’ex-Front national n’était-il pas le vainqueur du scrutin de 2014 avec près de 25% des suffrages? «Comme

tout sortant», Emmanuel Macron soutient que Marine Le Pen et ses amis auront à défendre «le bilan désastreux» de leur activité au Parlement européen. «Sortante», la liste LR conduite par François-Xavier Bellamy l’est tout autant à ses yeux puisque ses élus – notamment le trio Hortefeux-Dati-Morano, tous candidats à leur réélection –siègent avec les droites européenne­s au Parti populaire européen (PPE), le groupe majoritair­e à Strasbourg. Dans la préparatio­n de leur campagne, les caciques de la majorité semblent faire peu de cas des gauches, socialiste, hamoniste ou mélenchoni­ste (lire page 5), comme si, selon eux, elles étaient déjà condamnées à ne faire que de la figuration. Au début de son mandat, dans l’élan de son entrée sur la scène diplomatiq­ue, Macron a pu croire qu’il saurait bouleverse­r les équilibres politiques

à Strasbourg en provoquant une vaste recomposit­ion comparable à celle qu’a connue le Parlement français. Cette ambition a été revue à la baisse. Dépêchée à Madrid le 10 novembre pour le congrès de l’Alliance des libéraux et des démocrates pour l’Europe (Alde), le groupe centriste que devraient rejoindre les futurs élus de la majorité, la déléguée de LREM Astrid Panosyan a assuré qu’il n’était pas question pour elle de «dupliquer en Europe ce qui s’était passé en France». Mais elle invite tout de

même à «briser les bonnes vieilles habitudes du PPE et des socialiste­s»

qui, en ne décidant que «sur les choses sur lesquelles ils pouvaient être d’accord, ont fini par ne rien décider

du tout». Depuis sa première élection en 1979, le Parlement européen est dirigé par l’alliance du PPE et des Socialiste­s et démocrates qui s’échangent, à mi-mandat, la présidence de l’institutio­n.

S’ils ne rêvent plus de faire voler en éclats le PPE, dominé par l’encore puissante CDU allemande, les amis de Macron espèrent être en mesure de fédérer un groupe charnière sans lequel aucune majorité ne sera possible. Une hypothèse confirmée par les dernières projection­s réalisées à partir des sondages nationaux. «Nous assumons notre proximité avec l’Alde, mais nous ne voulons pas nous enfermer dans cette alliance», assure l’Elysée. Clément Beaune, proche conseiller du chef de l’Etat, s’intéresse de près aux «partis émergents» qui fleurissen­t partout en Europe, tout particuliè­rement en Pologne, où le parti Wiosna est crédité de 14 % d’intentions de vote. S’il pèse suffisamme­nt lourd, le futur groupe «central» ne désespère pas de pouvoir mettre le PPE au pied du mur, en le sommant de choisir avec qui il souhaite faire alliance. Avec les partisans d’une UE plus intégrée et plus solidaire ? Ou avec les nationalis­tes et les populistes ? Les amis du président hongrois, Viktor Orbán, et du chancelier autrichien, Sebastian Kurz, pourront être tentés par la deuxième voie. Ceux d’Angela Merkel, plutôt par la première.

Quel casting pour la liste ?

Les noms des 79 candidats retenus sur la liste soutenue par LREM et ses alliés ne seront probableme­nt pas dévoilés avant la fin du grand débat mi-mars. En campagne depuis le début de l’année, les trois principale­s têtes de liste concurrent­es, Jordan Bardella (FN), Manon Aubry (LFI) et François-Xavier Bellamy (LR), vont donc devoir patienter encore avant de connaître leur adversaire macroniste. «Des pétards

mouillés», plaisante Nathalie Loiseau, ministre chargée de l’Europe, à propos de ces trois jeunes candidats, tous inconnus du grand public, censés incarner l’audace et le renouveau.

Les stratèges de la macronie sont convaincus que les Français ne commencero­nt à s’intéresser à ce scrutin qu’à la mi-avril. Ce qui laisse du temps pour désigner les candidats et surtout celui ou celle qui sera à leur tête. Ces deux questions distinctes ne se règlent d’ailleurs pas au même niveau. Si le gros des troupes est sélectionn­é par les commission­s d’investitur­e de LREM, du Modem et du petit parti juppéiste Agir, c’est à l’Elysée que sera décidé le nom de la tête de liste. Alors que les partis de Le Pen, Mélenchon et Wauquiez parient sur la jeunesse et le renouvelle­ment –ce qui avait plutôt bien réussi aux marcheurs en juin 2017 –, Macron se prépare, de son côté, à faire le choix inverse: celui de l’ex-

Les stratèges de la macronie sont convaincus que les Français ne commencero­nt à s’intéresser à ce scrutin qu’à la mi-avril.

périence, pour sauver une UE selon lui gravement menacée, comme jamais depuis la première élection du Parlement européen en 1979, il y a tout juste quarante ans.

Le chef de l’Etat devra, le moment venu, arbitrer entre trois scénarios. Le premier, le plus évident, consistera­it à faire appel à un poids lourd politique capable de restaurer l’influence française à Bruxelles. Les noms de Jean-Yves Le Drian ou même d’Edouard Philippe sont cités, au grand dam de leurs entourages qui disent qu’ils ne sont pas intéressés. Une autre option serait de faire appel à une personnali­té issue de la société civile faisant autorité en Europe. Par exemple la ministre Nathalie Loiseau, très présente et de plus en plus offensive dans le débat européen… mais pas du tout tentée. Laurence Tubiana, représenta­nte spéciale du gouverneme­nt français pour la conférence de Paris sur le Climat (2016) aurait, elle aussi, le profil. Enfin, troisième option, la majorité pourrait désigner un groupe de trois ou quatre personnali­tés qui incarnerai­ent chacune une compétence européenne. C’est ce que recommande Cohn-Bendit, une formule qui lui a plutôt bien réussi en 2009 lorsqu’il conduisait la liste écolo avec Eva Joly et José Bové. Macron n’aurait pas encore décidé. «Je ne suis pas sûr qu’il faille faire trop de tactique», confiait-il le 31 janvier. Il est vrai qu’à l’arrivée cette liste sera d’abord identifiée à sa personne, comme celles du RN ou de LFI le seront à Le Pen et Mélenchon.

Derrière, les places seront très chères. Même si elle parvient à dépasser les 20%, la majorité ne peut espérer qu’un peu plus d’une vingtaine de sièges dont la moitié devrait revenir aux différents alliés : Modem, juppéistes, radicaux, écolos. Pour les candidats sélectionn­és par LREM, il ne reste donc, dans le meilleur des cas, qu’une dizaine de places éligibles. Elles ont été sélectionn­ées par la commission d’investitur­e présidée par Jean-Marc Borello, patron du Groupe SOS. Le parti présidenti­el a reçu au total plus de 2 500 candidatur­es, chacune devant être accompagné­e d’une vidéo de deux minutes où les prétendant­s expliquent leurs motivation­s. Comme dans tous les partis, ce scrutin de liste aura été précédé chez les marcheurs par une guerre des places et beaucoup de frustratio­n. Mais Nathalie Loiseau veut croire que la majorité garde sur ses adversaire­s «l’avantage de la cohérence». «Pour la première fois, nous avons une majorité unie sur la question européenne en France. Dans le passé, à droite comme à gauche, il y a toujours eu à l’intérieur des majorités des proeuropée­ns et des euroscepti­ques profonds», note la ministre dans une allusion aux déchiremen­ts passés du PS et du RPR (puis de l’UMP). Cet avantage, les macroniste­s prétendent l’exploiter en faisant de l’expertise européenne des candidats leur principal argument face à des concurrent­s qui ont parié, eux, sur la jeunesse et donc aussi sur l’inexpérien­ce. •

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A Epinal (Vosges), le 17 avril 2018, pour
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PHOTO PASCAL BASTIEN le lancement officiel des «consultati­ons citoyennes sur l’Europe».

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