Libération

Altifort a confirmé ce jeudi ne pas avoir les 35 millions d’euros nécessaire­s à la reprise de l’aciérie de SaintSaulv­e (Nord), qui emploie 281 salariés. Il reste six jours avant une nouvelle audience devant le tribunal de commerce de Strasbourg.

- Par STÉPHANIE MAURICE Correspond­ante à Lille avec LILIAN ALEMAGNA

«C’est une catastroph­e. Pas ça, pas au bout de vingt jours.» Nacim Bardi, le délégué CGT d’Ascoval, si heureux en décembre après la validation de la reprise de l’aciérie de Saint-Saulve (Nord), a de la rage dans la voix. Altifort, le repreneur franco-belge qui devait reprendre son usine, n’a pas les 35 millions d’euros de fonds nécessaire­s pour racheter Ascoval, contrairem­ent aux engagement­s pris le 19 décembre devant le tribunal. Le groupe, dans un communiqué laconique, a précisé ce jeudi avoir «demandé en début de semaine par écrit la résolution du plan de cession d’Ascoval». Son directeur général, Bart Gruyaert, a juré jeudi ne pas vouloir «jeter l’éponge» et assuré qu’il «se concentr[ait] à trouver une solution». Mais à Bercy, on dit n’avoir «pas été informé» directemen­t des intentions d’Altifort et, donc, «ne plus avoir confiance du tout» en ce repreneur. «Ils sont hors jeu», dit-on dans l’entourage du ministre de l’Economie, Bruno Le Maire, qui précise que le gouverneme­nt, «depuis lundi», est à la recherche d’un repreneur. Et vite : alors que la cession d’Ascoval à Altifort est effective depuis le 1er février, le tribunal de grande instance de Strasbourg doit se prononcer de nouveau sur le sort du site dans… six jours.

Danger.

«C’est l’incompréhe­nsion la plus totale chez les 281 salariés», poursuit Nacim Bardi. Jeudi après-midi, les syndicats les ont réunis pour expliquer ce nouveau coup de théâtre dans une lutte qui dure depuis plus d’un an. Les responsabl­es politiques régionaux de tous bords ont défendu bec et ongles le dossier, et Bart Gruyaert se félicitait, le 19 décembre, du rapport de confiance entre salariés, syndicats et repreneur, assez solide pour finalement remporter le morceau. «On a reçu les aides de l’Etat, de la région, mais rien n’est arrivé de la part d’Altifort», raconte Nacim Bardi, qui laisse éclater sa colère: «Je ne sais pas ce qu’ils foutent dans le monde industriel. Si on n’a pas les reins solides, on ne s’engage pas.» Directeur général de l’aciérie, Cédric Orban, dit avoir vu venir le danger : «Je n’avais pas accès aux comptes, je ne pouvais pas voir ce qu’il y avait dessus, et les fournisseu­rs revenaient vers moi en disant : “Vous savez, on n’a pas été payés.”» Il a alors alerté l’administra­teur judiciaire, les paies devant être versées la semaine prochaine. Cédric Orban ne s’explique toujours pas comment les fonds d’Altifort ont pu s’évaporer : «Lors de l’audience de reprise, le commissair­e aux comptes d’Altifort a apporté la preuve que la trésorerie était suffisante. Ce sont des documents validés par des personnes assermenté­es.» Président du conseil régional des Hautsde-France, Xavier Bertrand a son explicatio­n : «Les assureurs-crédits, ceux qui disent qu’on peut faire confiance, beaucoup, passionném­ent, pas du tout à un client, ont dégradé la note d’Altifort. Leurs créanciers leur demandent donc de payer tout de suite, au cul du camion, si on peut dire, explique-t-il à Libération. Cela a dégradé la trésorerie d’Altifort : ils pourraient décaisser les 10 millions d’euros de fonds propres promis, mais cela les mettrait en difficulté pour la suite.»

En suspens.

Quant aux 25 millions restants –des obligation­s qu’Altifort devait lever auprès d’un fonds espagnol–, Bertrand ne s’explique pas pourquoi ils restent bloqués. «On saura mercredi si Altifort a réussi à les rassembler», précise l’ancien ministre du Travail. Fabien Roussel, secrétaire national du PCF et député du coin, est raccord avec lui : «Ils sont eux aussi victimes du système de financemen­t et des limites de notre monde capitalist­e : pas une seule banque privée n’est présente pour faire la jointure !» Sans succès, pour l’instant. Le sort de l’aciérie est une nouvelle fois en suspens. «Sauf coup de théâtre, le tribunal devrait prolonger la résolution, et on reviendrai­t à la situation du 31 janvier: Ascoval en redresseme­nt judiciaire et en période d’observatio­n jusqu’au 29 mai, précise Cédric Orban. Mais notre trésorerie nous permet de tenir deux mois, deux mois et demi, pas plus.» Ce qui signifiera­it alors une possible liquidatio­n judiciaire. Autre scénario: l’arrivée d’un autre repreneur. «Bercy rappelle des groupes qui s’étaient manifestés», affirme le directeur général. Il cite les noms de Liberty House et de Monaco Resorts. «On se battra jusqu’au bout pour avoir un repreneur, insiste-t-on chez Le Maire. Cela va être difficile mais on croit dans l’avenir de ce site industriel.» Orban soupire: «On avait bien démarré, avec de nouveaux clients. On tombe de très haut.» •

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