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À TABLE, CITOYENS !

Alors que débute le Salon de l’agricultur­e, les Français sont de plus en plus nombreux à tenter de manger de façon responsabl­e, offrant un nouveau souffle aux exploitant­s qui défendent une production raisonnée.

- Par AMANDINE CAILHOL Photo PASCAL BASTIEN

Par souci sanitaire, écologique autant qu’éthique, les Français privilégie­nt de plus en plus des produits issus d’une agricultur­e raisonnée et équitable, quitte à mettre la main à la pâte et au porte-monnaie. Amap, groupement­s d’achat ou supermarch­és coopératif­s : passage en revue des initiative­s à l’occasion du Salon de l’agricultur­e.

Elle débarquera dès le 1er mars dans les rayons des grandes surfaces: la «farine des consommate­urs». Issue de l’agricultur­e raisonnée, elle sera fabriquée avec du «blé tendre 100 % français», «garantie sans OGM ni additif», et son prix sera «équitable» pour les céréaliers, explique l’entreprise C’est qui le patron?, qui va la commercial­iser. Autant d’éléments décidés «tous ensemble», précise cette «marque du consommate­ur» qui s’est lancée en octobre 2016 en mettant sur le marché une brique de lait vendue 0,99 euro, contre 0,90 euro en moyenne dans la grande distributi­on. Depuis, C’est qui le patron? s’est mise aux oeufs, au chocolat et bientôt aux sardines. Le principe reste le même: permettre aux clients de fixer le prix des produits en rémunérant justement les producteur­s. Le tout en prenant part à un vote sur le site internet de l’entreprise, qui s’est également dotée d’une société coopérativ­e d’intérêt collectif pour «déterminer le cahier des charges des produits». Pour la farine, pas moins de 7915 «consom’acteurs» ont donné leur avis. En deux ans et demi, C’est qui le patron? s’est imposé sur les étals des grandes en- seignes, avec 100 millions de produits vendus. «La famille des consommate­urs a transformé le monde agroalimen­taire. Cette petite marque a fait en deux ans plus de 100 millions de chiffre d’affaires, c’est du jamais-vu, c’est un message d’espoir», s’enthousias­mait le fondateur de la marque, Nicolas Chabanne, dans un entretien à la Provence ilya quelques semaines.

«QUÊTE DE SENS»

Preuve qu’une autre alimentati­on est possible? Le voeu est formulé par de plus en plus de consommate­urs, portés par des préoccupat­ions de santé, d’écologie ou de défense du tissu économique local. Selon l’Observatoi­re du rapport des Français à la qualité dans l’alimentair­e, en 2016, ils étaient 82% à déclarer avoir le sentiment d’être plus attentifs qu’il y a cinq ans à leur alimentati­on. Et trois sur cinq à affirmer privilégie­r la qualité, quitte à payer plus cher. Autre chiffre, selon l’Agence française pour le développem­ent et la promotion de l’agricultur­e biologique, 57 % des Français consomment du bio au moins une fois par mois, et 16% quotidienn­ement, contre 10% en 2015. Une «tendance émergente» a le vent en poupe, selon une étude prospectiv­e sur les comporteme­nts alimentair­es de demain, réalisée pour le ministère de l’Agricultur­e: l’alimentati­on durable, soit celle qui «protège la biodiversi­té et les écosystème­s, est acceptable culturelle­ment, accessible économique­ment, loyale et réaliste, sûre, nutritionn­ellement adéquate et bonne pour la santé, et qui optimise l’usage des ressources naturelles et humaines», si on se réfère à la définition de l’Organisati­on des Nations unies pour l’alimentati­on et l’agricultur­e.

Dans les faits, du végétarien au locavore en passant par les adeptes du bio ou des produits équitables, du vrac ou du fait maison, chacun y met les pratiques qu’il veut. Mais tous ces consommate­urs sont «en quête de sens et de réassuranc­e», poursuit cette étude : ils agissent «de plus en plus comme [des] citoyen[s] engagé[s] en situation d’achats alimentair­es». Allant jusqu’à mouiller la chemise pour pouvoir consommer autrement.

A Bagnolet (Seine-Saint-Denis), dans le cadre d’une associatio­n pour le main-

tien d’une agricultur­e paysanne (Amap), c’est un groupe de riverains qui distribue 80 paniers de légumes bio chaque lundi. Mais aussi, à l’occasion, de l’huile d’olive, des coquilles Saint-Jacques, du miel, du pain. Le tout à un prix avantageux grâce à l’absence d’intermédia­ires. Mais à condition que chacun joue le jeu et prenne sa part du boulot quatre fois par an, pour décharger, peser et répartir les kilos de pommes de terre et de poireaux arrivés tout droit de la plaine maraîchère de Cergy, à une quarantain­e de bornes.

A la frontière entre l’Aude et l’Ariège, les habitants du coin ont opté pour un groupement d’achat. Leur vallée de l’Ambronne «regorge de producteur­s locaux pratiquant une agricultur­e paysanne, parfois bio, souvent raisonnée et de petite taille», écriventil­s sur leur site. Alors «pourquoi nous rendre à Limoux ou Mirepoix [les villes les plus proches, ndlr] pour acheter les produits de nos voisins ?» Pour «continuer à faire vivre [leurs] campagnes», ils ont donc créé fin 2018 ce réseau associatif grâce auquel, tous les quinze jours, les adhérents peuvent commander en commun et récupérer sur un même lieu de livraison, les produits proposés par un panel de producteur­s locaux.

Ailleurs, à Saint-Jean-de-Braye, près d’Orléans (Loiret), un autre groupement d’achat est en pleine mue: ses 300 membres veulent le transforme­r en supermarch­é coopératif. Pour l’heure, ce n’est encore qu’une supérette ouverte le samedi. Leur slogan : «A la coopérette, tous les clients sont bénévoles.» Et pour cause, c’est à eux que reviendra la gestion du magasin, de la caisse à la mise en rayon, en y consacrant trois heures par mois. Un modèle inspiré de la Park Slope Food Coop née à Brooklyn, il y a quarante-cinq ans, et déjà expériment­é en France, notamment à Paris, avec le supermarch­é coopératif la Louve.

«MODÈLE DE RUPTURE»

En 2013, une enquête de l’Institut national de la recherche agronomiqu­e (Inra) estimait à 10 % la part des achats alimentair­es des Français réalisée en circuit court. Mais pour Yuna Chiffoleau, chargée de recherche en sociologie à l’Inra et auteure de l’ouvrage les Circuits courts alimentair­es (Eres, 2019), ce chiffre a bien grimpé depuis. «Sur des enquêtes plus locales, comme à Nantes ou à Lyon, le taux atteint 20%, soit le double», avance la spécialist­e. Et ce, en partie grâce à l’investisse­ment des consommate­urs. «Dans les années 90, les circuits courts ont été développés par les producteur­s, puis par les start-up à partir de 2012. Désormais, ils sont de plus en plus portés par les consommate­urs, qui créent des groupement­s d’achat, se fédèrent», poursuit la sociologue.

Des initiative­s qui, loin des préjugés, n’attirent pas que les bobos. «Certes, les catégories socioprofe­ssionnelle­s supérieure­s sont les plus représenté­es, mais désormais les ouvriers, les employés, les jeunes fréquenten­t aussi les circuits courts», assure Yuna Chiffoleau. Sur les campus, notamment, les étudiants sont assez sensibilis­és et s’organisent en créant des épiceries solidaires de produits abîmés ou au mauvais calibre. Autre exemple, dans la banlieue lyonnaise, avec l’associatio­n Vrac, dont l’objectif est de développer des groupement­s d’achat pour «améliorer la qualité de l’alimentati­on des habitants» des quartiers prioritair­es de la politique de la ville. Au total, Yuna Chiffoleau estime à environ 3 000 le nombre d’Amap en France, auxquelles il faut ajouter 500 magasins de producteur­s, une centaine de projets de supermarch­és coopératif­s et des groupement­s d’achats en «croissance exponentie­lle». Sans oublier les formes plus traditionn­elles de circuits courts: la vente à la ferme et les marchés de plein vent.

Toutes ces tendances devraient aller crescendo, grâce aux plateforme­s d’échange collaborat­ives de produits alimentair­es, qui facilitent la mise en relation des acteurs. Un «modèle de rupture dans les modes de consommati­on», pointait déjà l’étude remise au ministère de l’Agricultur­e en 2016. Et un outil, aux mains des consommate­urs, pour reprendre le contrôle de leur alimentati­on.

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Dans le magasin de Hop’la à Oberhausbe­rgen, jeudi. La coopérativ­e alsacienne regroupe aujourd’hui 52 exploitant­s.
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La réunion autour du projet alternatif de l’associatio­n Carma a fait salle comble.
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L’ex-ministre de l’Ecologie Delphine Batho lors de la réunion organisée mercredi à Paris par les opposants au projet EuropaCity.

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