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Dans le triangle de Gonesse, la résistance écolo-rurale à EuropaCity s’organise

Déjà en sursis, le mégaprojet mené par Auchan entre les aéroports de Roissy et du Bourget doit aussi affronter la concurrenc­e d’un plan B porté par une associatio­n qui prône l’agricultur­e de proximité.

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Si les opposants au projet de mégacentre commercial EuropaCity imaginé par le groupe Auchan s’étaient contentés de dire qu’ils n’en voulaient pas, sans doute auraient-ils eu du mal à remplir la salle Olympe-deGouges, prêtée mercredi par la mairie du XIe arrondisse­ment de Paris. Mais ce soir-là, elle était pleine à craquer. L’assistance, très remontée contre EuropaCity malgré sa promesse de 3,1 milliards d’euros d’investisse­ment et 30 millions de visiteurs par an entre les aéroports du Bourget et de Roissy-Charles-de-Gaulle, venait pour comprendre le projet alternatif de l’associatio­n Carma (Coopératio­n pour une ambition rurale et métropolit­aine agricole). Un projet agricole appuyé sur le génie du lieu, soit ses «excellente­s terres de limon des plateaux», selon l’agronome Marc Dufumier, à la tribune. Dans un combat écologique, proposer un plan B est une manoeuvre astucieuse. S’il tape pile dans les préoccupat­ions de l’époque autour de l’environnem­ent et de l’alimentati­on, ça l’est encore plus.

«Provocatio­n».

Reste encore à le faire connaître. La métropole du Grand Paris va fournir l’occasion. En 2016, elle lançait une consultati­on pour l’aménagemen­t d’une série de sites, dont le triangle de Gonesse (Val-d’Oise). «Nous avons monté une équipe et nous avons répondu, raconte Robert Spizzichin­o, président de Carma. C’était un peu une provocatio­n. Nous avons été jetés bien sûr, mais beaucoup de gens nous ont encouragés à continuer.» Partis de l’idée de «sauver les terres de Gonesse», les militants ont commencé par réfléchir autour d’une parcelle de 30 hectares sur les 280 actuelleme­nt cultivés pour expliquer comment «rendre moins nocives les pratiques de la culture céréalière». Un truc de donneurs de leçons ? Spizzichin­o s’en défend : «Nous ne voulons pas chasser les agriculteu­rs qui sont en place, mais faire évoluer les pratiques vers une transition écologique.»

Trois ans plus tard, voilà les activistes bien plus loin. Le projet Carma est devenu Gonesse une propositio­n d’«agroécolog­ie» fondée sur les acquis des recherches environnem­entales appliquées à l’agricultur­e. La lutte contre EuropaCity a en effet eu cette vertu inattendue d’attirer des experts de l’agroécolog­ie, des spécialist­es du climat, des sols ou de l’eau, des profession­nels de l’aménagemen­t et des bénévoles qui n’avaient tous qu’une idée: charpenter le projet pour le rendre de plus en plus crédible. Parti de quelques militants écologiste­s qui, au début, prêchaient dans le désert, le projet a réuni autour de lui des organismes qui savent de quoi ils parlent: le réseau Biocoop, celui des Amap, France nature environnem­ent et Terre de liens, l’associatio­n qui «fait pousser des fermes».

A force de contributi­ons, le programme s’est renforcé. «Il s’est enrichi sur le plan recherche», dit Robert Spizzichin­o. Il suffit de se promener sur le site de l’associatio­n,

Parti de quelques militants écologiste­s qui, au début, prêchaient dans le désert, le projet alternatif a réuni des organismes qui savent de quoi ils parlent.

Carmapaysd­efrance.com, pour s’en convaincre. On y trouve tout ce qui peut fonder une agricultur­e post-Kyoto: le bocage, la rotation des plantes, l’enrichisse­ment naturel des sols par l’humus et, surtout, la permacultu­re, «une démarche écosystémi­que». On n’est pas chez les babas. L’associatio­n veut développer «un projet pilote», un modèle.

«Projet citoyen».

«Ce que nous voulons mettre en place, c’est un cycle d’économie circulaire qui passe par la production, la transforma­tion des produits, leur consommati­on et le traitement des déchets», résume Robert Spizzichin­o. L’idéal serait d’aller vers «un contrat de transition écologique pour le territoire du pays de France», le secteur où se trouve le triangle de Gonesse. Mais aussi de créer «un centre de recherche et d’innovation technologi­que sur le thème de l’agroécolog­ie et de l’alimentati­on». Carma plaide également pour «des formations aux nouveaux métiers de la transition écologique», imagine l’implantati­on de ces équipement­s dans les villes du périmètre : Gonesse, Aulnaysous-Bois, Villiers-le-Bel… «Ce n’est pas un projet uniquement agricole, c’est un projet citoyen», dit le président de l’associatio­n. Alors qu’on attend pour le 12 mars une décision du tribunal administra­tif qui pourrait fragiliser encore plus EuropaCity, Carma serait-il le contre-projet ?

SIBYLLE VINCENDON

Photos BOBY

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