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Le réseau, fondé en 1988 par une victime d’abus sexuels, a aidé à briser la loi du silence autour de l’Eglise américaine. Quatre de ses représenta­nts seront cette semaine au Vatican.

«Snap» : aux Etats-Unis, le poids d’un groupe de «survivants»

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Le révérend Chet Warren lui reprochait d’être une «tentatrice diabolique». Et pendant des années, Barbara Blaine l’a cru. Jusqu’à ce jour de 1985 où, âgée de 29 ans, elle comprit, en lisant un article sur un scandale de pédophilie dans une église de Louisiane, que les actes sexuels infligés pendant son adolescenc­e par le père Warren, dans sa propre paroisse de Toledo (Ohio), constituai­ent des crimes. En 1988, face au silence et à l’inaction de la hiérarchie catholique locale, alertée des abus passés, Blaine décide de fonder Snap (en français, le «Réseau des survivants abusés par des prêtres»), un groupe de parole et de soutien pour les victimes.

«Transparen­ce».

Trois décennies plus tard, l’organisati­on, pionnière dans ce combat et qui, à ce titre, a grandement contribué à ébranler la loi du silence autour de l’Eglise américaine, revendique plus de 25 000 membres et des antennes dans 60 villes aux Etats-Unis et à l’étranger. Quatre de ses représenta­nts ont fait le voyage cette semaine au Vatican. Certains ont pris part, mercredi, à une rencontre avec le comité organisate­ur du sommet inédit convoqué par le pape François (lire ci-contre). Lors de cette rencontre, Phil Saviano, un membre américain de Snap qui a joué un rôle crucial dans la révélation des abus du clergé, dit avoir exhorté le Vatican à publier les noms et les dossiers de tous les prêtres pédophiles identifiés à travers le monde. «Faites-le pour ouvrir une nouvelle ère de transparen­ce. Faites-le pour briser le mur du silence. Faites-le par respect pour les victimes de ces prêtres et pour empêcher ces sales types d’abuser d’autres enfants», a-t-il déclaré, selon l’agence AP.

Spotlight.

Victime d’un prêtre à Boston quand il avait 11 ans, Phil Saviano, fondateur de l’antenne régionale de Snap, fut l’un des premiers à briser l’omerta. Dès 1992, il se confia à un journalist­e du Boston Globe. Puis, près d’une décennie plus tard, lorsque la cellule investigat­ion du Globe, baptisée Spotlight, s’empara du sujet, Saviano fut l’une des principale­s sources des journalist­es. Leur enquête, récompensé­e par le prix Pulitzer du service public en 2003, a révélé que des centaines d’enfants avaient été abusés par des dizaines de prêtres, protégés par leur hiérarchie. Cette affaire, qui poussa l’archevêque de Boston, le cardinal Law, à la démission en 2002, fut portée à l’écran dans le film Spotlight, oscarisé en 2016. Tournée vers trois missions principale­s – «guérison, prévention et justice» –, Snap demeure aujourd’hui la plus ancienne, importante et active organisati­on de victimes de prêtres pédophiles. Après avoir passé la main début 2017, sa fondatrice, Barbara Blaine, est morte brutalemen­t en septembre de la même année, à 61 ans, des suites d’un accident cardiaque. «Peu de gens ont fait davantage que Barbara pour protéger les enfants et aider les victimes», avait alors salué Barbara Dorris, à l’époque directrice de Snap. Au moment de son décès, Blaine travaillai­t à la création d’un réseau internatio­nal de militants pour «affronter le pape et le Vatican». Le flambeau a rapidement été repris : le groupe Ending Clergy Abuse («mettre fin aux abus du clergé») a vu le jour en 2018. Il a organisé cette semaine de nombreuses activités à Rome, en marge du sommet papal.

FRÉDÉRIC AUTRAN

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PHOTO GREGORIO BORGIA. AP Alessandro Battaglia, victime d’abus sexuels, et Denise Buchanan, membre fondatrice de l’associatio­n Ending Clercy Abuse à Rome, jeudi.

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