«Les politiques finiront pas céder»
Grève des jeunes pour l’environnement : Etudiants et lycéens étaient près d’un millier vendredi à manifester à Paris contre l’inaction des dirigeants. La Suédoise Greta Thunberg, à l’origine du mouvement, était présente.
Dans le léger smog de pollution qui recouvre la place de la République à Paris, vendredi matin, des dizaines de journalistes jouent des coudes pour apercevoir une jeune fille à tresses. Greta Thunberg, l’adolescente suédoise qui fait grève d’école pour le climat, tous les vendredis devant le Parlement de Stockholm, est à Paris pour la première fois. Icône planétaire de la mobilisation des jeunes pour la lutte contre le dérèglement climatique, la Suédoise au visage juvénile et à l’éternelle doudoune mauve a amené avec elle les figures belges et allemandes du mouvement. «Je n’aurais jamais imaginé que ma grève puisse prendre autant d’ampleur, reconnaît Thunberg avec le sourire. C’est incroyable.»
Elle est venue soutenir le deuxième vendredi de manifestation de la jeunesse en France. Les organisateurs espèrent voir la mobilisation monter en puissance jusqu’au
15 mars, journée de mobilisation internationale pour le climat. Un préavis de grève pour les enseignants a déjà été déposé. «Les étudiants qui ne veulent pas faire grève n’ont pas pris la mesure de l’urgence de la situation, déclare Anuna De Wever, 17 ans, une des leaders belges. Toutes les générations devraient s’engager avec nous.» Aux côtés de celle qui ne veut se définir ni comme femme ni comme homme, Luisa Neubauer, venue d’Allemagne, hausse le ton : «On nous dit que c’est immoral de ne pas aller à l’école, mais c’est ne pas se mobiliser pour l’avenir de l’humanité qui est contraire à l’éthique. Nous avons tous ici d’autres choses à faire de nos vendredis. Mais si on rate les cours et qu’on est venus jusqu’à Paris, c’est pour que les gens passent à l’action.»
«Crevant».
Leur première revendication : que la lutte contre le changement climatique devienne la priorité des citoyens comme des politi- ques. «Nous sommes en train de construire le plus grand mouvement des jeunes pour l’environnement de l’histoire, reprend l’adolescente allemande. C’est crevant, mais ça fait du bien.» Autour d’eux, Juliette Binoche (engagée dans le «lundi vert» sans viande), Cyril Dion (coréalisateur du documentaire Demain), l’activiste indienne Vandana Shiva ou encore Yann Arthus-Bertrand viennent montrer que l’engagement concerne aussi les adultes.
Ils rejoignent tous le parvis de l’opéra Garnier qui résonne des cris : «Et un, et deux, et trois degrés. C’est un crime contre l’humanité !» Des centaines d’étudiants et lycéens brandissent panneaux et pancartes dans de nombreuses langues. Comme celle d’Anne-Sophie, 21 ans, qui lance un «Retour vert le futur» en lettres arcen-ciel. La jeune femme étudie à l’université Paris-Dauphine et se félicite que la mobilisation prenne si bien dans sa fac : «Depuis vendredi dernier, nous organisons des réunions d’information dans la cour. Plusieurs de mes profs m’ont apporté leur soutien et m’ont dit qu’ils ne compteraient pas mes absences.» La grève est suivie autant dans les filières Développement durable et Sciences sociales que dans les masters Finance et Economie. «Preuve que l’écologie touche tous les secteurs de la société», ajoute l’étudiante.
A quelques slogans de là, Elsa, tee-shirt vert fluo et petites lunettes rondes, soupire : «J’espère que ce ne sera pas une énième marche pour le climat qui n’aboutira à rien. Avec mes amies, nous sommes prêtes à aller plus loin que signer des pétitions sur Internet. On ne mange plus de viande et on ne veut plus prendre l’avion. Il est temps de faire comprendre que la croissance infinie n’est pas ce qu’il y a de plus important dans la vie.»
Un message repris par Arvid (11 ans) Nils (7 ans) et Mats (9 ans), qui détonnent dans la foule d’étudiants. «Il faut arrêter de polluer et de réchauffer l’atmosphère, demande le premier d’une petite voix. Le gouvernement doit agir pour préserver notre avenir, et surtout celui de nos enfants.» Rater l’école ? «C’est plus important de participer à cette marche», tranche-t-il avec un sourire. Derrière lui, sa mère, Sara, explique : «Quand j’ai expliqué à sa maîtresse pourquoi il serait absent, elle m’a apporté son soutien et a dit qu’elle parlerait du climat dans sa classe.»
La colère se fait sentir dans les rangs des manifestants. On y croise autant des scouts de France que des membres de syndicats lycéens, ou encore l’eurodéputé Yannick Jadot (EE-LV), venu porter son message de campagne pour les européennes.
Cinq continents.
Du côté du gouvernement, on assure soutenir le mouvement, bien qu’aucune mesure concrète le prouvant n’ait été annoncée. Alors qu’en France, la mobilisation a démarré sur le tard par rapport aux voisins belge, suisse et britannique, elle promet de s’intensifier au cours des prochaines semaines. «On vise les 500 000 personnes dans la rue pour les 15 et 16 mars», affirme Romaric Thorel, fondateur de Youth for Climate France, mouvement lancé au début de l’année. Vendredi au Japon, bientôt aux Etats-Unis, en Ouganda, en Australie, la grève se propage et a conquis les cinq continents en quelques semaines. «Vous serez morts en 2050, pas nous», scandent les jeunes dans les rues de Paris. «Même si le gouvernement ne nous écoute pas, le peuple nous entend et les politiques finiront par céder, affirme Marie, 19 ans, une banderole à la main. Du moins, c’est ce que je veux croire. Nous sommes toujours en démocratie, normalement.»
En fin de journée, Greta Thunberg a été reçue par l’Elysée, à sa demande, avec des représentantes belges et allemandes. Les jeunes Français n’y sont pas allés, leur requête que l’entrevue soit diffusée en direct sur Facebook ayant été refusée. •
«On nous dit que c’est immoral de ne pas aller à l’école, mais c’est ne pas se mobiliser pour l’avenir de l’humanité qui n’est pas éthique.» Luisa Neubauer activiste allemande