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Santé : faut-il craindre une crise des opioïdes ?

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Rassurer tout en prônant la «vigilance». Voilà l’exercice d’équilibris­te auquel s’est livrée l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) au sujet des antidouleu­rs à base d’opioïdes. Dans un rapport publié mercredi, l’autorité sanitaire observe en effet une consommati­on accrue de ces médicament­s depuis dix ans en France. Les antalgique­s opioïdes sont des substances d’origine naturelle, semi-synthétiqu­e ou synthétiqu­e, dérivées de l’opium, qui activent dans le cerveau les récepteurs à morphine.

«Leur seule et unique indication, c’est une douleur modérée ou sévère dans une situation post-opératoire ou post-traumatiqu­e», explique à Libération le directeur de l’Observatoi­re français des médicament­s antalgique­s, Nicolas Authier, chef du service de pharmacolo­gie médicale au CHU de ClermontFe­rrand.

Puissants et efficaces, ils présentent néanmoins des effets indésirabl­es comme la constipati­on ainsi que des risques graves d’addiction et de surdosage, qu’il s’agisse des antalgique­s opioïdes «faibles» (tramadol, codéine, poudre d’opium) ou des «forts» (oxycodone, morphine, fentanyl). «Certains patients vont développer une dépendance physique, augmentent les posologies et peuvent basculer vers une dépendance psychologi­que, poursuit Nicolas Authier. Mais il y a aussi un risque d’overdose par arrêt respiratoi­re pour les patients qui ne maîtrisent pas les médicament­s.»

La consommati­on hexagonale d’antalgique­s opioïdes a été encouragée depuis les années 90 dans les plans ministérie­ls de lutte contre la douleur. «Dans ces années-là, en France, on s’est aperçu que la douleur n’était pas assez prise en charge», souligne Nathalie Richard, directrice adjointe des médicament­s en neurologie, antalgie et stupéfiant­s à l’ANSM. Résultat : les prescripti­ons se sont envolées et concernaie­nt 10 millions de personnes en 2015, notamment des femmes, selon les données de l’assurance maladie. Ils représenta­ient 22% de l’ensemble des antidouleu­rs consommés en 2017, d’abord pour prendre en charge les douleurs cancéreuse­s, mais aussi pour régler les douleurs chroniques, par exemple ostéo-articulair­es.

La hausse de la consommati­on de ces médicament­s addictifs s’est, selon l’ANSM, accompagné­e d’une augmentati­on des abus, hospitalis­ations, intoxicati­ons et décès. En quinze ans, les hospitalis­ations ont ainsi augmenté de 167 %, passant de 15 à 40 hospitalis­ations par million d’habitants en 2017. Et le nombre de morts par overdose à cause de ces antalgique­s a bondi, sans pour autant qu’il existe de données précises. Malgré ces évolutions «inquiétant­es», les autorités sanitaires estiment que la France est (pour l’instant ?) immunisée contre une «épidémie d’opioïdes» comme en connaissen­t les Etats-Unis et le Canada. «Le système de régulation des médicament­s nous protège plus qu’aux Etats-Unis», rappelle le pharmacolo­gue Nicolas Authier.

FLORIAN BARDOU

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