Libération

Mmm, une loi aux petits oignons

Si on y avait pensé plus tôt ! Tous les inconvénie­nts qu’on se serait épargnés en faisant une loi contre les inconvénie­nts…

- Par MATHIEU LINDON

Si j’ai bien compris, on se demande ce que font les législateu­rs depuis Napoléon. Pas une semaine ne se passe sans qu’on ait besoin d’une nouvelle loi. On sait que nul n’est censé l’ignorer (on se demande d’ailleurs pourquoi la profession d’avocat prospère) mais la loi n’est pas censée ignorer tout le monde et tous les événements du pays.

Jusqu’à présent, il semble donc que les «casseurs» avaient quartier libre comme les antisémite­s, les fraudeurs se pavanaient comme les assassins et les simples voleurs, quant aux harceleurs et aux violeurs il était temps qu’on passe à l’action contre eux. Il y a même l’affaire Grégory contre laquelle on devrait faire une loi pour qu’on n’en entende plus parler ou pour déterminer un coupable une bonne fois pour toutes et qu’on n’aurait pas le droit de remettre en cause sous peine de révisionni­sme. On pourrait faire aussi une loi contre les moches qui salopent l’espace public, contre les chômeurs qui n’encombrera­ient plus les statistiqu­es, les pauvres qui n’auraient plus à manifester où que ce soit, les cons qui seraient forcés d’assister à des cours de rattrapage pour les mettre au niveau des législateu­rs. Et les méchants, ils passeraien­t à travers les mailles du filet, les aigris ? Une loi contre le mensonge et les enfants, derrière les barreaux, regrettera­ient le bon temps où la fessée était encore autorisée.

A priori, il y en a déjà à foison, des lois : celle de la nature, celle de la jungle, celle du hasard, sans compter celle de la gravité. On est dans la loi jusqu’au cou, et même au-delà. C’est le fameux «Que le meilleur gagne» du sport où on paie même des arbitres pour s’assurer que la loi du plus fort est respectée. Mais on a l’impression qu’une loi, c’est de mauvaise qualité, ce n’est pas garanti longtemps et ça se déglingue à toute vitesse: il faut sans cesse les rafistoler. Même celles de la physique se mettent à changer comme des girouettes, il n’y a pas plus relatif qu’une loi. Et il n’y a pas que la loi, aussi la jurisprude­nce, un vrai Talmud. Ça pinaille pour et ça pinaille contre, avec en outre une justice condamnée à lire ça en braille d’une main lourde. S’il y a un domaine où on ne lutte pas contre l’inflation, c’est les lois, il y aurait même un certain laxisme. La quantité l’emporte sur la qualité. Sans compter les lois qui permettent à certains de se soustraire aux lois pour tous, l’optimisati­on juridique. Et que se passerait-il si personne n’enfreignai­t les lois ? Heureuseme­nt, il y a l’usage. On s’arrange, on s’y fait. On se bande les yeux comme la justice. La loi se polit, elle sait être bonne fille. Elle a toujours son bon et son mauvais côté, la maman et la putain, sans plus de précision.

Et des lois pour, ça leur écorcherai­t la conscience, aux législateu­rs ? Qu’un minimum d’argent, de joie, de sexe et de compagnie soit assuré à chaque citoyenne et citoyen. C’est très joli, le respect de la loi, mais il faudrait parfois que la loi soit plus respectueu­se. Il y a des trucs, la loi ça ne devrait pas être ses oignons : la couleur des draps, la taille des gadgets, la cuisson du gigot, le temps qu’on arrive à économiser pour Internet. Les préliminai­res, d’une façon générale.

Mais l’enfer, ce serait si les lois devaient être suivies à la lettre. On ne pourrait plus sortir sans son code civil. Il faudrait trouver la bonne page au bon instant. Si j’ai bien compris, on ne pourrait plus mettre le couvert sans consulter la jurisprude­nce. •

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