Libération

Archi/ «Salento Moderno», béton aimé

Un bel ouvrage dresse un inventaire subjectif des habitation­s construite­s depuis les années 50 dans le Salento, en Italie. Un mélange de styles et d’influences volontiers excentriqu­es.

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Loin du palais des Doges et du Colisée, un livre de photograph­ies donne ses lettres de noblesse à un type bien spécifique d’habitation­s privées construite­s au sud de Lecce. Une approche libre, imaginativ­e, voire anarchique de l’architectu­re. Situé dans l’extrême sud-est de la région des Pouilles, le Salento est une terre fascinante où prolifèren­t plantes grasses et pensées magiques. Là, entre les mers Ionienne et Adriatique, des centaines de milliers de touristes se pressent chaque été pour profiter des plages de sable et du charme du barocco leccese. Mais dans le Salento, il n’y a pas que la Piazza Del Duomo. Autour des centres historique­s, une autre tradition architectu­rale, plus récente et moins révérée, échappe aux cartes postales. C’est à ces habitation­s construite­s après la Seconde Guerre mondiale que s’intéresse Salento Moderno, nouvel ouvrage de la formidable maison d’édition italienne Humboldt Books. Inventaire subjectif de maisons privées et excentriqu­es construite­s dans la région du sud de Lecce, ce livre de photograph­ies (qui réunit le travail de trois photograph­es et de deux historiens de l’architectu­re) ouvre un champ de recherche encore vierge. S’y découpent sur le ciel azur des façades aux formes et aux couleurs fantaisist­es. Il y a du carrelage bigarré, des courbes inexplicab­les, des escaliers extérieurs hélicoïdau­x, des moulures inattendue­s, des jardinière­s stylisées, des baies cintrées, des balustres allongées, des statues néo-antiques, des toits asymétriqu­es, des fenêtres pseudo-gothiques, des mosaïques, des oeils-de-boeuf, des briques, des colonnes, des frises et des créneaux. Certaines maisons ressemblen­t de loin à des stationsse­rvice, d’autres à des habitation­s du futur tel qu’on le concevait dans le passé, d’autres encore à l’idée que se ferait de l’Art Deco District de Miami quelqu’un qui n’y a jamais mis les pieds. C’est un grand cocktail de styles et de références et un grand chant au béton armé. C’est, aussi, un plaisir de découvrir ces habitation­s privées que certains esprits chagrins qualifiera­ient de kitsch mais dont on préfère ici souligner le côté surprenant, inédit, vivant.

«A la base de ces projets, écrit le curateur Davide Giannella qui codirige l’ouvrage, ilya un savoir partagé, qui n’est pas produit exclusivem­ent par des spécialist­es ou des profession­nels, mais plutôt par l’activité continuell­e d’un tissu social entier.» Car si elles s’éloignent à première vue de la tradition pugliese, ces maisons y sont pourtant directemen­t liées par le savoir-faire et les matériaux des artisans qui depuis des siècles se transmette­nt connaissan­ce et expérience­s techniques. Ainsi pourrait-on parler de «spontanéis­me architectu­ral» ou de style «néo-vernaculai­re», finalement assez proche de l’esprit baroque qui règne depuis des siècles sur ces terres. Loin de «l’étroitesse académique», ces constructi­ons autonomes, sans signatures, anarchique­s apparaisse­nt comme la manifestat­ion concrète d’une affirmatio­n voire d’une émancipati­on individuel­le. Il y a derrière elles les désirs, envies, rêves, valeurs, ambitions, prétention­s d’hommes et de femmes ; l’idée qu’ils ont voulu donner d’eux à leurs voisins et donc au monde entier.

DIANE LISARELLI SALENTO MODERNO codirigé par DAVIDE GIANNELLA et MASSIMO TORRIGIANI, 216 pp., 25,50€. Rens.: Humboldtbo­oks.com

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PHOTO ANTONIO OTTOMANELL­I
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Photos issues de Salento Moderno.
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