Libération

Les mots de Rose Jeune bonne et châtelain cruel par Franck Bouysse

- CLAIRE DEVARRIEUX

Il est plus d’écrivains qu’on ne croit pour échapper, Dieu merci, aux tirages chiches et aux ventes qui vont avec. Franck Bouysse, né en 1965 à Brive-la-Gaillarde, qui a pas mal publié dans sa région avant d’être accueilli à la Manufactur­es de livres, est en train de se tailler un chemin royal. Pour Grossir le ciel (2014), l’éditeur annonce 105000 exemplaire­s vendus. Pour Plateau (2015) 44000, pour Glaise (2017) 31 000. Né d’aucune femme, paru en janvier, poursuit une aventure semblable. Premier tirage de 15 000 exemplaire­s, deux réimpressi­ons, à 5 000 puis 10 000, cinquante rencontres dans les librairies prévues d’ici l’été. Enfin, mercredi dernier, passage de l’auteur à la Grande Librairie de François Busnel. Né d’aucune femme se situe dans ces contrées rurales qu’investissa­ient les titres précédents. Ici, ce sont «Les Landes». L’ambiance et la vêture signent le XIXe siècle. Un des personnage­s est fille de général d’Empire. On ne la verra pas, elle est cloîtrée dans une chambre du château où la petite Rose, 14 ans, vendue par son père, est livrée à son triste sort.

Est-ce intrigant ?

Grossir le ciel a reçu en son temps des prix littéraire­s réservés au polar. Peut-être parce qu’il vient du roman noir, l’auteur a le sens de l’intrigue comme de l’action. Un bambin s’aventure au début du livre. Une paroissien­ne signale au curé, Gabriel, dans le secret du confession­nal, qu’on va lui demander de venir bénir une femme à l’asile. Le curé doit récupérer les cahiers de la malheureus­e, dissimulés sous sa robe. Elle s’appelle Rose, elle est morte, elle a tué son bébé. Le curé et son sacristain, Charles, se rendent à l’asile. Cela s’est passé il y a près d’un demi-siècle. Gabriel a lu les cahiers de Rose, nous allons les lire à notre tour. Il faut savoir que l’identité des protagonis­tes réserve des surprises. Comme dans un feuilleton du XIXe ? Oui, mais inutile de faire les malins, vous n’allez pas trouver comme ça le poteau rose.

A qui sont ces voix ?

De manière assez classique, les points de vue alternent. Il y a donc Gabriel, le messager, l’histoire d’Onésime, le pauvre métayer père de Rose, «Elle», la mère, et puis Rose, qui monologue puisqu’elle tient son journal. Elle supprime la première partie de la négation: «A ce moment-là, je pensais pas à ma famille, je pensais rien qu’à ces étrangers qu’il me fallait maintenant servir. Ils me feraient pas le moindre cadeau, j’en étais certaine.» Le plus réussi, dans la confrontat­ion des personnage­s, est le mélange des voix, les dialogues enchâssés dans le récit. L’absence de guillemets n’empêche pas de s’y retrouver. La méchanceté sardonique du châtelain, le sadisme glacial de sa mère qui dirige la maisonnée et attend impatiemme­nt un héritier : leurs phrases se dressent parmi les tentatives misérables de Rose pour se défendre. Enfin, il y a le point de vue d’Edmond, l’homme à tout faire, jardinier, palefrenie­r, dont la bonté est évidente, et qui s’exprime dans une sorte de langage frustre mais qui s’apparente, sur la page, à de la poésie : «Ici, le malheur, il est caché partout.»

Et l’amour, dans tout ça ?

Né d’aucune femme compte des scènes très violentes, à base de coups de marteau, notamment. Mais cela n’empêche pas les sentiments de surnager, même quand tout est fait pour les anéantir. Nous confirmons : il y a une histoire d’amour. • FRANCK BOUYSSE

NÉ D’AUCUNE FEMME La Manufactur­e de livres, 336 pp., 20,90 €.

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