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Detroit le système D

Après la faillite de 2013, les habitants de la plus grande ville du Michigan, délaissés par les services publics, n’ont pas attendu les investisse­urs privés pour s’en sortir. Potagers participat­ifs, collectifs artistique­s et écologique­s… les citoyens ont

- Par ISABELLE HANNE Envoyée spéciale à Detroit (Michigan)

Activistes, bricoleurs, artistes, jardiniers, cyclistes… ou tout ça à la fois. Les habitants de Detroit ont, pendant des années, pallié l’absence de l’Etat et des services publics. Ils n’ont pas attendu les milliards de dollars des nouveaux investisse­urs qui construise­nt ou retapent le centre-ville ces dernières années pour faire leur la devise de cette ville phénix –«Speramus meliora, resurget cineribus» («nous espérons des temps meilleurs; elle renaîtra de ses cendres»). Pendant la faillite de 2013, la pire de l’histoire pour une ville américaine, plus de ramassage des ordures, ni d’éclairage public. Les habitants de Detroit, qui a perdu plus de 60 % de sa population depuis les années 50, ont balayé les rues, tondu les pelouses, créé des fermes urbaines. Ils ont dessiné les contours d’une urbanisati­on horizontal­e, communauta­ire et «do it yourself». Tentant de répondre, de manière temporaire et partielle, à des enjeux de taille, comme la sécurité alimentair­e, le recyclage, l’accès à l’emploi ou à l’art. Ils ont fait de cette ville laissée pour compte, à 85 % afro-américaine, un immense terrain de jeu et d’expériment­ation, qui doit faire face à un nouveau fléau depuis que les dollars pleuvent sur le centre-ville : la prédation immobilièr­e. Loin du Downtown ripoliné, ce sont bien les habitants eux-mêmes qui ont accouché de la «renaissanc­e» de Detroit dont tout le monde parle aujourd’hui. Et leur créativité, leur énergie et leurs initiative­s sont toujours là.

Poules, moutons et potagers

Jusqu’ici, le quartier de North End n’a été qu’une succession de maisons croulantes aux portes et fenêtres murées. Pas âme qui vive, à part un vieux chat au pelage douteux. Dans cet environnem­ent, la Michigan Urban Farming Initiative (Mufi) est une apparition. Des serres bien alignées et un grand potager manucuré, courgettes en fleurs, tomates qui grimpent sur les tuteurs et gombos prêts à être cueillis. S’y affairent une dizaine de jeunes souriants, sécateur à la main. Au loin, seul le toit crénelé du Fisher Building rappelle que nous sommes en plein coeur d’une ville autrefois habitée par 1,8 million de personnes. Cette petite ferme de 1,5 hectare, créée il y a sept ans, est devenue un point de rendez-vous des voisins. Jenny, qui habite une rue derrière et vient «au moins une fois par semaine mettre ses mains dans la terre», assure que le lieu a permis «la revitalisa­tion des rues alentour». Terrains vagues d’un côté, fermeture des commerces de proximité de l’autre : les habitants ont résolu l’équation. Ils se sont emparés spontanéme­nt de ce nouveau terroir pour faire pousser fruits et légumes, et élever poules, moutons, canards… En tout, la ville compte plus de 1 400 fermes urbaines. Leurs récoltes sont vendues sur place ou le samedi, dans les grandes halles chaleureus­es de l’Eastern Market.

L’art en plein air

Les street-artists ont fait des murs d’usines fermées, des ponts ou des maisons abandonnés leurs toiles de choix, mettant de la couleur, des formes et des idées dans les zones les plus négligées de cette ville aux allures post-apocalypti­ques. Mais l’illustrati­on à plus grande échelle de cette appropriat­ion artistique du chaos s’appelle The Heidelberg Project. Quatre kilomètres et un large cimetière séparent les tours du centre-ville du quartier pauvre et dégradé de McDougall-Hunt, au nord-est. Le quartier d’enfance de l’artiste local Tyree Guyton qui en a fait, depuis le milieu des années 80, une installati­on à ciel ouvert. On le croise dans l’artère principale, en train de peindre à la bombe jaune une vieille paire de godasses.

Les façades des maisons sont recouverte­s de pois de couleur ou de chiffres. Dans les jardins s’amoncellen­t des tas d’objets ramassés

 ?? PHOTO NICOLAS BOYER. HANS LUCAS ?? A Detroit, en août 2016. Tous les lundis, des centaines de cyclistes se réunissent pour une balade à vélo sous la bannière de l’associatio­n Slow Roll.
PHOTO NICOLAS BOYER. HANS LUCAS A Detroit, en août 2016. Tous les lundis, des centaines de cyclistes se réunissent pour une balade à vélo sous la bannière de l’associatio­n Slow Roll.

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