Pour le politologue Antoine Basbous, rien ne peut empêcher le clan du pouvoir de faire réélire Bouteflika, qui est pourtant gravement malade.
«Les Algériens savent qu’on vote à leur place»
Directeur de l’Observatoire des pays arabes (OPA) qu’il a fondé en 1992, Antoine Basbous est un politologue franco-libanais. Il a notamment analysé les bouleversements politiques et sociaux dans le monde arabe dans son livre le Tsunami arabe (2011). Comment interpréter les manifestations massives se multipliant en Algérie ? L’Algérie est composée d’une majorité de jeunes qui refusent de voir un grabataire, déjà présent dans le premier gouvernement après l’indépendance, en 1962, s’accorder un cinquième mandat après vingt ans de pouvoir. Bouteflika a passé son premier mandat [1999-2004] dans l’avion, pour défendre les couleurs de l’Algérie, et son dernier mandat au lit. Depuis son accident cérébral, en 2013, il n’a pas fait de discours. Le pays, et en particulier sa jeunesse, se révolte, sans violence, dans un mouvement citoyen.
Mais sa précédente candidature, en 2014, n’avait pas été contestée à ce point. A cette époque, on pensait que le problème de santé du Président était surmontable et qu’il pourrait se remettre en selle. Cinq ans plus tard, ce n’est plus le cas. Il ne peut ni marcher, ni parler, ni écouter, ni serrer des mains. Mais il veut mourir au pouvoir et s’assoit sur les intérêts de son pays, qu’il est incapable de défendre.
Le parti au pouvoir n’a-t-il pas de solution de rechange ?
Il faut distinguer le Front de libération nationale (FLN), le parti au pouvoir, du clan du pouvoir. Le FLN fait partie du clan mais ce n’est pas lui qui décide, il est instrumentalisé par une poignée de dirigeants réunis autour du frère du Président, Saïd Bouteflika [âgé de 61 ans, ndlr]. Ce clan garde accroché au mur le portrait du Président pour pouvoir, en son nom, gérer le pays, son économie et ses pétrodollars. Le statu quo les conforte et leur permet de garder la main sur l’ensemble des pouvoirs. C’est donc par confort qu’ils ne proposent pas un autre candidat.
L’opposition et les partis politiques ont-ils un rôle ? Les partis qui comptent sur la scène politique soutiennent le cinquième mandat : le FLN, le Rassemblement national démocratique (RND), le Rassemblement de l’espoir de l’Algérie (TAJ)… L’opération du cinquième mandat a été préparée par une série de purges à la tête du Sénat, du FLN, de la police, pour installer des inconditionnels du clan présidentiel. Il y a des candidats proclamés mais ils ne sont pas structurés en partis et ont peu d’assise. Il y a, en outre, le phénomène Rachid Nekkaz, un personnage quasiment folklorique qui a réuni 100 000 partisans à Alger samedi. Ce qui prouve que des gens peu fiables, dès qu’ils se présentent comme des opposants, réunissent une foule considérable. Mais ils ne pèseront pas dans le scrutin. L’élection vous paraît-elle jouée d’avance ?
A mon sens oui. Le clan au pouvoir a déjà préparé les chiffres qu’il publiera le 18 avril au soir : taux de participation, pourcentage du président sortant… On parle d’un chiffre autour de 80 %. Pour donner une apparence de scrutin démocratique, il faut bien quelques lièvres. Mais tout ça c’est du théâtre, c’est fictif. D’ailleurs, la participation baisse à chaque élection, les Algériens savent qu’on vote à leur place.
La conjoncture économique peut-elle mettre en péril le scénario du clan du Président ?
La situation s’est certes dégradée, mais tout dépendra du prix du baril de pétrole. S’il atteint les 90 dollars [79 euros], l’Algérie pourra continuer à vivre de ses exportations d’hydrocarbures. En revanche, s’il est inférieur, le pays continuera à puiser dans ses réserves, ce qu’il fait depuis plusieurs années. Et il a deux ou trois ans de réserves devant lui. C’est dangereux car l’Algérie a grand besoin de moderniser ses infrastructures et son appareil productif.
Recueilli par FRANÇOISXAVIER GOMEZ