FISCALITÉ VERTE Yapas que la taxe carbone dans la vie
Après l’abandon de la hausse de la contribution climat-énergie qui a lancé le mouvement des gilets jaunes, des écologistes réfléchissent à d’autres mesures, plus lisibles et redistributives. Passage en revue de quatre pistes.
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La taxe carbone est au point mort, vive ses alternatives. Depuis que le gouvernement, contraint et forcé par le mouvement des gilets jaunes, a «annulé» les futures hausses de taxes sur les carburants début décembre, malheureux est l’écolo qui se risquerait à aborder de nouveau le sujet. Si la thématique est inscrite au programme du grand débat (lire ci-contre), les termes de «taxe carbone» et même de «fiscalité verte» font figure d’urticants. Les 86 députés qui ont appelé, dans une tribune publiée mi-février par le Figaro ,à «trouv[er] une fiscalité carbone
équitable», l’ont senti passer. «Quand on parle de fiscalité écologique, on l’a vu, cela hérisse de nouveau tout le monde. Les gens n’ont perçu cela que comme une taxe en plus. On n’a pas encore trouvé la bonne formulation», reconnaît l’un des initiateurs de la tribune, le député écologiste (ex-LREM) Matthieu Orphelin.
Pour autant, ces députés ne proposaient pas de réactiver une taxe carbone pure et sèche. Sans renier «un outil efficace parmi d’autres» pour «répondre à l’urgence climatique», ces élus effleuraient, sans entrer dans le détail, de «nombreuses propositions sur la table» pour accompagner la transition écologique. S’ils n’ont pas trouvé la martingale, tous connaissent la liste des ingrédients pour faire accepter une nouvelle recette verte. Des mesures lisibles, justes et redistributives. «Tout le monde doit en connaître les règles à l’avance, il faut une trajectoire du prix : les Français doivent savoir ce qu’ils vont payer en 2050», explique la députée LREM Bénédicte Peyrol. D’autant plus que Matignon s’est vu remettre dernièrement un rapport pressant le gouvernement de relever drastiquement le prix de la tonne de CO2 d’ici 2030. «Si on veut que les Français comprennent le sens de l’effort demandé, on ne doit pas mettre le produit de la fiscalité écologique au pot commun pour résoudre les problèmes de fins de mois du budget de l’Etat», pointe la députée Delphine Batho (ex-PS), présidente de Génération écologie, qui plaide pour «ne pas s’enfermer dans le seul débat fiscal». Même son de cloche chez Kévin Puisieux, responsable «économie et finance» de la Fondation pour la nature et l’homme (FNH) qui, tout en soulignant «la nécessité de refixer une trajectoire carbone», prévient : «On a besoin de prouver qu’on n’est pas en train de redémarrer en douce ce que les Français ont rejeté.» Des scénarios existent, pragmatiques ou plus radicaux. Coup de projecteur sur quatre propositions, en gestation ou déjà formulées, pour rouvrir le chantier de la transition écologique.
«Revenu climat», «chèque vert», «sécurité sociale écologique»…
Les ONG et les responsables politiques à la fibre écolo en sont persuadés : si l’augmentation du prix des carburants a mis en mouvement les gilets jaunes et poussé l’exécutif à geler la trajectoire carbone française, c’est avant tout parce que le produit de cette contribution climat énergie (CCE, nom officiel de la taxe carbone) n’est pas réservé aux plus modestes ou au financement de politiques de transition écologique. Du coup, un grand nombre d’entre eux phosphorent actuellement sur l’idée d’un «chèque vert» ou d’un «revenu climat». L’argent de la taxe carbone permettrait ainsi d’«accompagner la transformation des habitudes de consommation», explique l’ancien ministre Pascal Canfin, aujourd’hui directeur général du WWF France, en «ciblant les bons produits» comme les véhicules électriques et hybrides pour la prime à la conversion. Qui en profiterait ? A partir de quel niveau de revenus ? Doit-on y affecter 100 % de la taxe carbone ? Que réserver aux investissements publics ? «On fait
tourner des modèles, on teste», rapporte l’un
des responsables. «Le produit de la taxe carbone doit être rendu aux ménages modestes et à la mobilité contrainte», avance Delphine Batho, qui propose pour sa part «d’aller vers une nouvelle forme de protection» avec la création d’une «sécurité sociale écologique» destinée à «protéger les Français de la problématique énorme de la précarité énergétique».
Faire (aussi) contribuer les avions
L’idée faisait partie de la longue liste de revendications des gilets jaunes début décembre :
une «taxe sur le fuel maritime et le kérosène».
La Convention internationale de Chicago sur l’aviation civile de 1944 empêche certes les pays de taxer les carburants des avions, «mais cela ne veut pas dire qu’on ne peut rien faire», avance Lorelei Limousin, du Réseau action climat (RAC). Proche de Nicolas Hulot, Matthieu Orphelin prend exemple sur la «contribution écologique au décollage sur les vols intérieurs» mise en place il y a tout juste un an par les Suédois. «Il ne s’agirait pas de mettre en place une contribution forfaitaire, précise l’élu. On ne se fonderait pas sur l’endroit où l’avion fait le plein et on pourrait commencer par les lignes où il existe une alternative à l’avion.» «On ne peut pas dire à quelqu’un qui fait un ParisToulouse en voiture que son essence est taxée alors que celui qui fait un Paris-Toulouse en avion ne l’est pas», ajoute Pascal Canfin.
Lancer un plan massif de rénovation énergétique
Erigée officiellement par le gouvernement en «priorité nationale», la rénovation thermique a pris beaucoup de retard et pâtit d’un manque de financements. Ce levier clé pour réussir la transition énergétique est aussi urgent du point de vue social : la France compte 7,5 millions de passoires thermiques et 3,8 millions de ménages peinent à payer leur facture ou se privent de chauffage. Or les aides à la rénovation sont éparpillées, peu lisibles et souvent insuffisantes pour permettre aux ménages les plus modestes (qui habitent les logements les moins isolés) d’entreprendre des travaux. «Pour un tiers voire la moitié des Français, il faudrait refondre toutes les aides en une seule», suggère Matthieu Orphelin. Pour lever tous les freins, l’idée serait aussi d’avancer l’argent des crédits d’impôt. «On doit impliquer les acteurs privés, banques et entreprises de construction, pour qu’ils proposent eux-mêmes des mécanismes de financement facilités, comme des prêts à taux zéro, quitte à prévoir une partie du remboursement par les économies d’énergie réalisées», propose le député.
Des quotas carbone par habitant
Yves Cochet veut bien l’admettre : cette mesure est… «assez raide». Pour le moins costaud, le principe de la «carte carbone» pour
«On ne peut pas dire à quelqu’un qui fait ParisToulouse en voiture que son essence est taxée alors que celui qui le fait en avion ne l’est pas.» Pascal Canfin directeur général du WWF France
lequel plaide l’ancien ministre de l’Environnement aurait toutefois, selon lui, le mérite d’être «très compréhensible et juste». L’idée de l’ex-député des Verts serait d’attribuer un quota de droits d’émissions de C02 à chaque habitant pour sa consommation annuelle d’énergie (chauffage, électricité, carburant). En même temps, on paierait en euros son plein d’essence à la pompe : «Votre carte carbone à puce est décrémentée des droits d’émissions correspondants», explique Cochet. Un «rationnement» ne risque-t-il pas de rebuter ? Il réplique : «Mais les pauvres se rationnent déjà ! Nous sommes déjà dans un système de rationnement, sauf qu’il est extrêmement inégalitaire.» Ces quotas seraient, pour le coup, identiques d’une personne à l’autre mais les plus gourmands en carbone pourraient racheter des unités aux plus économes en passant par des bourses régionales d’échange. «Cette philosophie du “cap and share” [plafonner et partager, ndlr] donne un sentiment d’égalité complète entre les citoyens et responsabilise chacun, car elle permet vraiment de saisir les limites des ressources», affirme Cochet. Les quotas distribués diminueraient chaque année pour rentrer dans les clous des objectifs de réduction des émissions de CO2 fixés par les COP climatiques.