Libération

contre les kurdes la sale guerre d’erdogan

Laissée libre d’agir par les Etats-Unis, la Turquie a entamé son offensive sur les territoire­s kurdes syriens à l’est de l’Euphrate, bombardant plusieurs localités. Les Européens s’indignent…

- Par Hala Kodmani

Jouant des ambiguités de Washington, la Turquie est passée à l’attaque dans le Nord-Est syrien, mercredi. Condamnant des milliers de civils à la fuite.

Attendue et redoutée depuis des mois, la guerre de la Turquie contre les forces kurdes dans le nord-est de la Syrie a éclaté mercredi. Recep Tayyip Erdogan a annoncé lui-même sur Twitter le déclenchem­ent de l’opération «Source de paix». «Les Forces armées turques et l’Armée nationale syrienne [des rebelles syriens soutenus par Ankara, ndlr] ont débuté l’opération», a écrit le président turc. Quelques minutes plus tard, les premières frappes de l’aviation turque visaient Ras al-Ain, localité frontalièr­e évacuée lundi par les soldats américains. De fortes explosions ont secoué la ville et des colonnes de fumées s’échappaien­t des immeubles, a rapporté le correspond­ant de CNN Türk sur place. L’artillerie turque a aussi visé des cibles des YPG, les milices kurdes qui contrôlent la région, à Tall Abyad, une autre localité du nordest de la Syrie. Les forces kurdes ont répliqué en tirant des obus sur la ville turque frontalièr­e de Ceylanpina­r, sans faire de victimes.

«Immense panique»

Peu après le début des hostilités, les habitants ont commencé à fuir massivemen­t la zone. Le porte-parole des Forces démocratiq­ues syriennes (FDS), dominées par les Kurdes, Mustapha Bali, a indiqué que les «raids aériens ont visé des zones civiles, jetant une immense panique parmi la population». L’angoisse monte parmi les Kurdes, mais aussi les autres Syriens habitant la région, qui accueille des dizaines de milliers de déplacés des autres provinces ravagées par la guerre. Le compte à rebours a commencé quand Donald Trump a donné le feu vert dimanche soir. Après une conversati­on téléphoniq­ue avec Erdogan, le président américain a annoncé dans un communiqué laconique un retrait de ses forces armées du nord-est syrien pour permettre une «opération militaire turque prévue de longue date». Un laissez-passer qui aurait même surpris Erdogan, tant il dépassait ses espérances. Les Turcs se sont mis immédiatem­ent à accélérer les préparatif­s militaires et politiques de leur offensive. «Nous allons tenir l’ONU et tous les pays concernés, y compris la Syrie, informés» du déroulemen­t de l’opération, a déclaré mercredi le chef de la diplomatie turque, Mevlüt Cavusoglu. Le porte-parole d’Erdogan s’est entretenu mercredi avec le conseiller de Trump à la sécurité nationale, Robert O’Brien, au sujet de la mise en place de la zone de sécurité ; et l’ambassadeu­r américain à Ankara a été convoqué au ministère des Affaires étrangères pour être briefé sur l’attaque. L’opération vise «les terroriste­s des YPG et de Daech», a précisé Erdogan dans son tweet. «La zone de sécurité que nous allons créer va permettre le retour des réfugiés syriens dans leur pays», a-t-il ajouté à l’intention de son opinion intérieure, de plus en plus hostile à la présence de quelque 3,5 millions de Syriens dans leur pays.

Réunion d’urgence

Le déclenchem­ent de l’offensive turque a soulevé un tonnerre de protestati­ons internatio­nales. Les pays européens, engagés dans la coalition antiterror­iste qui s’est appuyée sur les forces kurdes sur le terrain pour mener la guerre contre l’Etat islamique, ont été les premiers à réagir. La France a condamné «très fermement» l’offensive et saisi le Conseil de sécurité de l’ONU. Celui-ci doit se réunir d’urgence et à huis clos ce jeudi à la demande de ses membres européens, la Belgique, la France, l’Allemagne, la Pologne et le Royaume-Uni. Le président de la commission européenne, Jean-Claude Juncker, a exigé pour sa part l’arrêt de l’offensive: «La Turquie doit cesser l’opération militaire en cours. Elle ne donnera pas de résultat. Et si le plan de la Turquie est la création d’une zone de sécurité, n’attendez pas de financemen­t de l’Union européenne.» Même le président russe, Vladimir Poutine, a appelé son partenaire turc «à bien réfléchir à la situation afin d’éviter de porter atteinte aux efforts communs visant à résoudre la crise syrienne». Autant d’appels tardifs, alors qu’aucune solution politique n’a été sérieuseme­nt recherchée avec la Turquie, qui menaçait depuis longtemps de passer à l’attaque. •

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