Libération

A Lyon, les fonds du problème

- Par Philippe Artières Directeur de recherche au CNRS

Mercredi s’est ouverte à Lyon la conférence de reconstitu­tion des ressources de la coopératio­n financière internatio­nale qui lutte contre la tuberculos­e, le sida et le paludisme. Mais les dons, même importants, sont-ils en mesure de modifier durablemen­t les courbes épidémiolo­giques ?

Lyon est depuis mercredi le théâtre d’un événement attendu. Attendu par la communauté internatio­nale, attendu par celles et ceux qui ont fait de l’éradicatio­n mondiale de la tuberculos­e, du sida et du paludisme un objectif pour 2030 : associatio­ns, pays destinatai­res, personnes malades. La conférence de reconstitu­tion du Fonds mondial est aussi attendue par le président Emmanuel Macron qui a déployé depuis plusieurs mois une réelle activité

diplomatiq­ue, poursuivan­t avec une tradition française (lire ci-contre) pour porter cette nouvelle étape dans la gouvernanc­e mondiale de la santé. La conférence de Lyon est d’autant plus attendue que les objectifs sanitaires, des mots mêmes du directeur exécutif du Fonds mondial Peter Sand, ne seront vraisembla­blement pas atteints : «La communauté internatio­nale n’est pas sur la bonne voie pour en finir avec ces épidémies.»

Pour la lutte contre le VIH, l’accès à une offre de prévention, de dépistage et de soin, comme le soulignait le Conseil national du sida dans une note valant avis du 18 avril, juste avant la tenue à Paris d’un G7 santé, demeure restreint : «En Afrique de l’Ouest et du Centre, qui comptait en 2017 un cinquième des nouvelles infections par le VIH, 48 % seulement des personnes vivant avec le VIH connaissai­ent leur statut sérologiqu­e.» En attendant, ce jeudi matin, l’annonce de la contributi­on française, jusque-là tenue secrète par le président de la République, qui devrait suivre celle, certes plus importante, du premier financeur que sont les Etats-Unis, dans les allées du forum réunissant les

acteurs non-gouverneme­ntaux, une question occupe tous les esprits : un chiffre peut-il changer le cours de l’histoire ?

moins spectacula­ire

Le Fonds mondial est à maints égards l’initiative la plus remarquabl­e depuis le début du siècle en matière de mobilisati­on et de solidarité mondiale; une alliance entre autant de pays paraissait pourtant improbable pour lancer une lutte mondiale contre les trois principale­s pandémies. Or, depuis 2002, cette riposte exceptionn­elle a été pour la première fois mise sur pied, constituan­t près de la moitié des financemen­ts internatio­naux dans le champ de la santé, développan­t une politique verticale. Si toutes et tous s’accordent sur la nécessité d’accroître encore les contributi­ons – dès le G7 de Biarritz, le 25 août, l’Allemagne avait annoncé un don d’un milliard d’euros sur trois ans, soit une augmentati­on de 17,6 % –, la somme des dons est-elle en mesure de modifier durablemen­t les courbes épidémiolo­giques ? Autrement dit, le Fonds mondial doit-il maintenir sa lutte ciblée contre ces trois épidémies, avec un bilan incontesta­ble résumé en un autre

chiffre «32 millions de vies sauvées» ou bien adopter un autre modèle, moins spectacula­ire mais dont les effets se feront aussi sentir dans la lutte contre les maladies chroniques qui tuent aujourd’hui plus que les trois pandémies. Les avantages de l’approche «horizontal­e» visant à renforcer les infrastruc­tures de santé, les équipement­s et les ressources humaines, sont de plus en plus souvent énoncés.

Invisibili­té

Un changement de politique se cache-t-il dans l’accroissem­ent des contributi­ons ? D’aucuns ne le cachent pas à Lyon. Le temps est à la collecte ; mercredi, la ministre de la Santé se gardait bien de problémati­ser, appelant à «une mobilisati­on financière internatio­nale dans un cadre multilatér­al pour sauver 16 millions de vies dans les trois prochaines années». Il se dit que certains pays plus généreux cette année comptent, une fois Lyon passé, se faire plus présents dans les instances de décision du Fonds mondial et favoriser cette autre politique. Le chiffre des contributi­ons va-t-il paradoxale­ment participer à la progressiv­e invisibili­té de la pandémie de VIH ? C’est l’une des inquiétude­s

des acteurs de la lutte contre le sida. Après avoir permis une mobilisati­on contre la tuberculos­e et le paludisme, le VIH pourrait en faire les frais au moment où on ne peut crier victoire. L’événement est à venir : si un chiffre peut changer l’histoire, c’est bien celui de la mise sous traitement des personnes vivant avec le

virus, et ce, le plus tôt après la contaminat­ion – rappelons qu’en France, ce délai est pour les nouveaux diagnostic­s d’encore trois années – ce qui permettra l’éradicatio­n effective de la pandémie.

Philippe Artières est membre du Conseil national du sida et des hépatites virales.

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Des mères séropositi­ves et leurs enfants au centre de santé de Munhava à Beira (Mozambique­à le 15 juin 2012.
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Photo Eli Reed. Magnum Photos

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