«La décision de Trump témoigne d’une méconnaissance dangereuse du monde»
Pour Mark R. Jacobson, ancien conseiller auprès du département de la Défense, Washington doit faire tampon entre ses deux alliés.
«Ce matin, la Turquie, membre de l’Otan, a envahi la Syrie. Les EtatsUnis ne soutiennent pas cette attaque et ont indiqué clairement à la Turquie que cette opération était une mauvaise idée», a affirmé Donald Trump dans un communiqué, mercredi midi. Avant d’ajouter que depuis son entrée en politique, il avait toujours voulu mettre fin «à ces guerres interminables et insensées, surtout celles qui ne sont pas au bénéfice des Etats-Unis». Historien des conflits et de la diplomatie au Amherst College, ancien conseiller auprès du département de la Défense et de l’Otan, Mark R. Jacobson revient sur les conséquences de la décision de Trump. Le retrait des troupes américaines de la frontière syrienne est-il cohérent avec la politique étrangère de Trump ?
Si on regarde son agenda global, cette décision présente une certaine cohérence. Il a parlé maintes fois de sa volonté de sortir le pays des guerres à l’étranger – Afghanistan, Irak, Syrie… En décembre 2018, il a affirmé que l’Etat islamique avait été vaincu et que les Etats-Unis pouvaient donc se retirer. L’autre élément constant est sa tendance à faire confiance à des dirigeants autocratiques, de la Turquie à la Russie, en passant par la Corée du Nord. Enfin, cette décision prise sans préavis, à la stupeur du Département d’Etat et du Pentagone, est également typique de Tump, mais témoigne d’une méconnaissance incroyablement dangereuse du monde et des risques causés par des actions impulsives, pour nous comme pour nos alliés. Que signifie la fin de la présence américaine dans la région ?
C’est un désastre pour les Kurdes, alliés des Américains depuis des décennies, comme pour les Etats-Unis. Que l’on considère qu’ils doivent avoir un Etat indépendant ou non, le fait est que dès que les Kurdes perdent le soutien politique et militaire américain, la Turquie se sent libre d’aller à l’offensive.
Deux alliés des Etats-Unis, la Turquie et les FDS, se retrouvent ainsi face à face. La décision de Trump met Washington dans une position très inconfortable…
C’est bien pour ça qu’il aurait fallu y réfléchir bien plus sérieusement. Comme l’a indiqué mardi Joseph Votel, ancien général au commandement central américain, nous devrions nous concentrer sur la mise en place de mécanismes pour que les Kurdes et les Turcs résolvent ces questions pacifiquement. Et les EtatsUnis devraient faire office de tampon.
Mardi, Trump a semblé rétropédaler, menaçant de «détruire totalement» l’économie turque si Ankara agit «hors des limites». Sa décision a été critiquée jusque dans les rangs républicains. Que peut faire le Congrès ?
Mardi, je pensais que Trump allait revenir sur sa décision, mais les rapides attaques turques ont rendu l’équation plus complexe. La réaction du Congrès a été à la fois bipartisane et extrêmement critique de Trump. Le Congrès pourrait voter des sanctions contre la Turquie mais l’exécutif devrait ensuite les mettre en place. On ne peut s’empêcher de regarder les atermoiements de Trump sans prendre en compte l’enquête en cours pour sa destitution menée par la Chambre des représentants. Pour les chefs d’Etat étrangers, les Etats-Unis sont en position de faiblesse. Pour Trump, ça peut signifier qu’il aura à trouver un équilibre entre sa politique étrangère et sa capacité à satisfaire les sénateurs républicains, essentiels dans la procédure de destitution si celle-ci est enclenchée.
Recueilli par
Correspondante à New York