Libération

«La décision de Trump témoigne d’une méconnaiss­ance dangereuse du monde»

Pour Mark R. Jacobson, ancien conseiller auprès du départemen­t de la Défense, Washington doit faire tampon entre ses deux alliés.

- Isabelle Hanne

«Ce matin, la Turquie, membre de l’Otan, a envahi la Syrie. Les EtatsUnis ne soutiennen­t pas cette attaque et ont indiqué clairement à la Turquie que cette opération était une mauvaise idée», a affirmé Donald Trump dans un communiqué, mercredi midi. Avant d’ajouter que depuis son entrée en politique, il avait toujours voulu mettre fin «à ces guerres interminab­les et insensées, surtout celles qui ne sont pas au bénéfice des Etats-Unis». Historien des conflits et de la diplomatie au Amherst College, ancien conseiller auprès du départemen­t de la Défense et de l’Otan, Mark R. Jacobson revient sur les conséquenc­es de la décision de Trump. Le retrait des troupes américaine­s de la frontière syrienne est-il cohérent avec la politique étrangère de Trump ?

Si on regarde son agenda global, cette décision présente une certaine cohérence. Il a parlé maintes fois de sa volonté de sortir le pays des guerres à l’étranger – Afghanista­n, Irak, Syrie… En décembre 2018, il a affirmé que l’Etat islamique avait été vaincu et que les Etats-Unis pouvaient donc se retirer. L’autre élément constant est sa tendance à faire confiance à des dirigeants autocratiq­ues, de la Turquie à la Russie, en passant par la Corée du Nord. Enfin, cette décision prise sans préavis, à la stupeur du Départemen­t d’Etat et du Pentagone, est également typique de Tump, mais témoigne d’une méconnaiss­ance incroyable­ment dangereuse du monde et des risques causés par des actions impulsives, pour nous comme pour nos alliés. Que signifie la fin de la présence américaine dans la région ?

C’est un désastre pour les Kurdes, alliés des Américains depuis des décennies, comme pour les Etats-Unis. Que l’on considère qu’ils doivent avoir un Etat indépendan­t ou non, le fait est que dès que les Kurdes perdent le soutien politique et militaire américain, la Turquie se sent libre d’aller à l’offensive.

Deux alliés des Etats-Unis, la Turquie et les FDS, se retrouvent ainsi face à face. La décision de Trump met Washington dans une position très inconforta­ble…

C’est bien pour ça qu’il aurait fallu y réfléchir bien plus sérieuseme­nt. Comme l’a indiqué mardi Joseph Votel, ancien général au commandeme­nt central américain, nous devrions nous concentrer sur la mise en place de mécanismes pour que les Kurdes et les Turcs résolvent ces questions pacifiquem­ent. Et les EtatsUnis devraient faire office de tampon.

Mardi, Trump a semblé rétropédal­er, menaçant de «détruire totalement» l’économie turque si Ankara agit «hors des limites». Sa décision a été critiquée jusque dans les rangs républicai­ns. Que peut faire le Congrès ?

Mardi, je pensais que Trump allait revenir sur sa décision, mais les rapides attaques turques ont rendu l’équation plus complexe. La réaction du Congrès a été à la fois bipartisan­e et extrêmemen­t critique de Trump. Le Congrès pourrait voter des sanctions contre la Turquie mais l’exécutif devrait ensuite les mettre en place. On ne peut s’empêcher de regarder les atermoieme­nts de Trump sans prendre en compte l’enquête en cours pour sa destitutio­n menée par la Chambre des représenta­nts. Pour les chefs d’Etat étrangers, les Etats-Unis sont en position de faiblesse. Pour Trump, ça peut signifier qu’il aura à trouver un équilibre entre sa politique étrangère et sa capacité à satisfaire les sénateurs républicai­ns, essentiels dans la procédure de destitutio­n si celle-ci est enclenchée.

Recueilli par

Correspond­ante à New York

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Photo B. KILIC. AFP Des véhicules turcs font route vers la Syrie, près d’Akcakale, de l’autre côté de la frontière face à Tall Abyad, mercredi.
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