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Trump gagne du temps face au piège de l’impeachmen­t

Si l’histoire américaine montre que la procédure de destitutio­n n’aboutit jamais, le Président semble manifester pour la première fois des signes de panique et tente de prolonger l’imbroglio judiciaire.

- Par Pap Ndiaye Professeur à Sciences-Po

Les nuages noirs s’accumulent au-dessus de la Maison Blanche. En principe, Donald Trump n’a pourtant pas grandchose à craindre de la procédure d’impeachmen­t lancée contre lui. La route de l’impeachmen­t est si longue et semée d’embûches qu’aucune procédure concernant un président n’est jamais parvenue à son terme. Il y a eu trois tentatives, dont la première visa Andrew Johnson en 1868. Devenu président après l’assassinat de Lincoln, Johnson, ancien propriétai­re d’esclaves et partisan du maintien de la suprématie blanche dans le Sud, pardonna aux esclavagis­tes et ferma les yeux face aux agissement­s du Ku Klux Klan. Face à ce président qui trahissait les engagement­s de son prédécesse­ur, le Congrès riposta en saisissant l’occasion d’une infraction juridique mineure pour tenter de s’en débarrasse­r. A une voix près, Johnson le miraculé sauva sa tête.

Qui, désormais, oserait l’impeachmen­t d’un président, alors que, d’une manière générale, le pouvoir exécutif s’est renforcé au XXe siècle ? Le comporteme­nt personnel, même déplorable, d’un président ne suffit pas : il faut également une situation politique fragilisée, un Congrès hostile, une opinion publique mobilisée, pour que l’impeachmen­t devienne tangible. Toutes ces conditions furent réunies un siècle après Johnson.

Désorganis­ation

Lors d’un discours télévisé du 8 août 1974, Nixon annonça sa démission de la présidence. Il quitta la Maison Blanche le lendemain, une semaine après le lancement d’une mise en accusation par la commission judiciaire de la Chambre des représenta­nts. Compte tenu des charges graves qui pesaient sur lui, de la majorité démocrate au Sénat et des élus républicai­ns qui avaient lâché un président aux abois, il est probable que la procédure aurait été à son terme, et que Nixon aurait donc subi l’infamie de la destitutio­n – et accessoire­ment la perte totale des avantages matériels liés au statut d’ancien président. Il choisit de s’éclipser avant d’être mis à la porte.

A la fin des années 90, la mise en accusation de Bill Clinton est originale en ce sens qu’elle procéda d’un scandale de moeurs, et non d’une affaire politique. Le scandale des passetemps présidenti­els dans le Bureau ovale et les dénégation­s de Clinton alimentère­nt un rapport qui permit à la commission judiciaire de la Chambre des représenta­nts, à majorité républicai­ne, de voter la «mise en accusation» en décembre 1998. En février 1999, le Sénat acquitta le Président de toutes les accusation­s qui le visaient, de telle sorte qu’il put aller jusqu’au bout de son deuxième mandat, ce qu’une majorité d’Américains approuva. L’impeachmen­t semble donc hors d’atteinte, mais la situation de Trump est bien plus inquiétant­e qu’il n’y paraît à première vue. En premier lieu, la Maison Blanche ne semble pas avoir pris les dispositio­ns attendues dans ce genre de situation : à savoir la création d’une équipe juridique spécialisé­e, impeachmen­t war room, pour peaufiner la défense. En 1998, Clinton avait créé une telle équipe, essentiell­e pour s’en sortir. Aujourd’hui, la désorganis­ation incroyable de la Maison Blanche, les postes non pourvus, les divagation­s incontrôla­bles de l’avocat Rudy Giuliani, l’agitation extrême du Président, ne sont pas de nature à rassurer dans la perspectiv­e de la longue bataille judiciaire qui s’annonce. L’impeachmen­t n’est pas fait pour des amateurs brouillons.

En second lieu, la procédure va se dérouler en pleine campagne électorale, ce qui est inédit. La majorité républicai­ne au Sénat est menacée, puisque 35 sièges seront en jeu, dont 23 actuelleme­nt tenus par des républicai­ns. Parmi eux, certains sénateurs tremblent pour leur réélection. Ils sont localement pris en étau entre les supporteur­s indéfectib­les de Trump et l’électorat centriste et indépendan­t, dont ils ont également besoin s’ils veulent être réélus face à des démocrates remontés et combatifs. Pour l’instant, ces sénateurs modérés rasent les murs, mais leur solidarité avec Trump n’est pas garantie à 100%, surtout si l’enquête tourne mal. Bon nombre de sénateurs républicai­ns refuseront alors de couler avec le Titanic et sauteront dans les canots de sauvetage, en ramant dur pour ne pas être aspirés vers le fond.

Corruption

En troisième lieu, nul ne peut préjuger de la pêche que l’enquête ramènera dans ses filets. Il y a deux mois, deux possibilit­és s’offraient aux démocrates pour le lancement de l’impeachmen­t. La première stratégie consistait à ficeler un paquet judiciaire regroupant l’ensemble des malversati­ons de Trump : ses liens avec la Russie dans la campagne présidenti­elle de 2016 et après; ses efforts pour entraver l’enquête du procureur spécial Robert Mueller ; ses tentatives de pression sur des personnes citées dans des affaires judiciaire­s ; la confusion entre la fonction présidenti­elle et ses activités d’homme d’affaires ; et plus récemment ses demandes insistante­s auprès du président ukrainien afin de discrédite­r Joe Biden, candidat à l’investitur­e démocrate.

La seconde stratégie, finalement choisie, consiste à ne se concentrer que sur l’affaire ukrainienn­e: elle est plus facile à comprendre pour le grand public et elle permet en principe d’avancer plus vite en ajustant les tirs sur la même cible. Mais il est possible que, chemin faisant, de nouveaux éléments apparaisse­nt, confirmant la corruption généralisé­e de la Maison Blanche. L’impeachmen­t est susceptibl­e d’ouvrir une boîte de Pandore. Pour la première fois depuis qu’il occupe le Bureau ovale, Trump est sur la défensive et la peur semble le saisir, une peur viscérale qu’il conjure par une litanie d’insultes et de provocatio­ns.

What if ? Et si, en tirant le fil ukrainien, tout le tricot du Président venait avec ? En attendant, pour gagner du temps, Donald Trump a annoncé qu’il refusait les requêtes des représenta­nts démocrates à propos d’auditions de témoins ou de remise de documents. L’imbroglio juridique actuel sera sans doute réglé en cour de justice, retardant la procédure de plusieurs mois. Trump mise sur sa réélection en novembre 2020. D’ici-là, tous les coups seront permis : «Vaporiser de

la merde», comme dit Steve Bannon qui s’y connaît, avec l’aide des amis de Fox News pour salir les adversaire­s ; trafiquer les procédures de vote pour limiter la participat­ion électorale des jeunes et des minorités ; se présenter comme une victime d’un «coup d’Etat» afin de chauffer à blanc ses supporteur­s. Tout cela était déjà présent en 2016 mais à un degré infiniment moindre. Vous avez aiméla campagne de 2016 ? Vous allez adorer celle de 2020.

Trump mise sur sa réélection en novembre 2020. D’ici-là, tous les coups seront permis : «Vaporiser de la merde», comme dit Steve Bannon qui s’y connaît, avec l’aide des amis de Fox News pour salir les adversaire­s.

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Donald Trump dans le Bureau ovale, mardi.

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