Libération

L’héritage du «Good Parliament» de 1376

Accusé d’avoir détourné de l’argent public alors que la guerre de Cent Ans faisait rage, le chambellan anglais William Latimer avait été destitué par la Chambre des communes. Une première.

- Tobias Boestad Doctorant en histoire médiévale à Sorbonne Université

La procédure de l’impeachmen­t remonte à l’Angleterre médiévale. Elle est attestée pour la première fois en 1376, lorsque la Chambre des communes s’en sert pour destituer le grand chambellan William Latimer.

Loin de l’absolutism­e des monarques de l’époque moderne, la concertati­on avec les grands aristocrat­es est une pratique de gouverneme­nt incontourn­able au Moyen Age. En Angleterre, la Magna Carta promulguée en 1215 sanctionne ainsi le principe que toute levée d’impôts extraordin­aire doit être approuvée par une assemblée représenta­tive. C’est sur ce fondement juridique que se développe, dans les décennies suivantes, un Parlement bicaméral composé d’une House of Lords (pour le clergé et la haute noblesse) et d’une House of Commons (pour la basse noblesse et la bourgeoisi­e).

Comptes. En 1376, la situation politique en Angleterre est explosive. Alors que la guerre contre les Français, qui dure depuis les années 1330, a tourné à son désavantag­e, le roi Edouard III espère pouvoir lever un énième impôt extraordin­aire. Il se résout donc, après plusieurs hésitation­s, à convoquer le Parlement – qui ne siège pas encore en permanence. Très vite, les délibérati­ons tournent en défaveur du pouvoir royal : consultées, les Communes demandent que les comptes publics soient examinés. L’assemblée bénéficie de l’approbatio­n des contempora­ins, qui font l’éloge du «Good Parliament».

A cette époque, il n’est évidemment pas possible de remettre en question le Roi lui-même, qui règne «par la grâce de Dieu». En revanche, on s’inquiète de la compétence de ses conseiller­s, notamment lorsqu’on les soupçonne de se servir dans les caisses du royaume. Par la voix du speaker Peter de la Mare, les délégués des Communes indiquent que le peuple est prêt à faire son possible pour aider le Roi, mais s’étonne de ce que certains de ses conseiller­s se soient tant enrichis, alors même que les finances sont à sec. Les colères se cristallis­ent autour du chambellan William Latimer, accusé d’avoir racheté les dettes du Roi, extorqué d’importante­s sommes d’argent à ses alliés bretons et vendu le château de Saint-Sauveur aux ennemis français.

Enquête. L’impeachmen­t prononcé contre William Latimer représente plus qu’une simple destitutio­n : non seulement le chambellan est démis de ses fonctions à la demande des Communes, mais le duc de Lancastre, qui préside la Chambre des Lords, n’a d’autre choix que de le faire emprisonne­r avec l’autorité du Parlement. Cette décision est confirmée après qu’une enquête parlementa­ire a conclu à la culpabilit­é du baron.

Une fois la pression retombée, les Lords ne tardent pas à revoir leurs positions. Libéré sous caution, William Latimer est gracié quelques mois plus tard. L’année suivante, le duc de Lancastre parvient à faire élire des Communes plus complaisan­tes, le «Bad Parliament» diront certains. Les événements de 1376 sont liés à un contexte de crise du pouvoir politique ; à court terme, ils se soldent par un échec. Mais loin d’être remise en cause, la procédure d’impeachmen­t crée un précédent dont les conséquenc­es se jouent encore aujourd’hui.

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