Libération

L’«Homme de Vitruve» sans-papiers

- Florence Alazard Libé.fr.

La nouvelle est tombée : le tribunal administra­tif de la Vénétie a bloqué mardi l’accord passé entre la France et l’Italie qui prévoyait le prêt par l’Académie de Venise au musée du Louvre du fameux Homme de Vitruve de Léonard de Vinci. Ce dessin, sans doute réalisé vers 1490, est une petite chose fragile de papier mesurant 34 cm sur 24 cm. C’est aussi, avec la Joconde, l’une des oeuvres les plus médiatisée­s de Léonard, si on prend comme critère (discutable) la quantité de ses usages commerciau­x et de ses détourneme­nts. Déjà en mai, le dessin s’était trouvé au centre d’une polémique entre la France et l’Italie. La visite du président italien, Sergio Mattarella, et sa rencontre avec Emmanuel Macron dans un château d’Amboise devait contribuer au règlement de la crise diplomatiq­ue inédite qui avait conduit, quelques semaines auparavant, le Quai d’Orsay à rappeler son ambassadeu­r en Italie. Las, alors que la presse française, emboîtant le pas au ministre de la Culture, Franck Riester, annonçait le prêt de l’oeuvre pour l’exposition Léonard de Vinci prévue au Louvre à partir du 24 octobre, le ministre italien de la Culture publiait un démenti. L’affaire semblait L’Homme

mal engagée alors que se multipliai­ent maladresse­s et tensions : un présentate­ur d’une grande chaîne de télé française, au journal de 20 heures, parlait de Léonard comme d’«un génie français»; plusieurs politiques italiens rétorquaie­nt que «Léonard est italien, il est seulement mort en France». L’été avait toutefois permis la finalisati­on d’un accord qui prévoyait qu’en échange de l’Homme de Vitruve, l’Italie pourrait bénéficier pour quelques semaines de plusieurs tableaux de Raphaël. A l’origine de la décision du tribunal vénitien, l’associatio­n Italia Nostra s’appuie sur l’article 66 du code italien des biens culturels qui protège la sortie du territoire des oeuvres qui constituen­t le fonds principal d’un musée et qui risquent de subir des dommages pendant leur transport. Pendant ce temps, on n’entend guère les questions de conservati­on: l’Homme de Vitruve est entouré d’un protocole qui prévoit qu’il ne peut être exposé au public plus de quatreving­t-dix jours et que toute exposition doit être suivie d’une période de cinq années de conservati­on au frais et à l’abri de la lumière. Or, le précieux dessin a déjà été présenté à Venise pour une exposition consacrée à Léonard et l’homme modèle du monde. Celle du Louvre serait-elle celle de trop ? L’affaire ne manque enfin pas de sel quand on sait que la Joconde elle-même ne sera pas partie prenante de l’exposition. Certes, au Louvre elle le sera. Mais rarement déplacée, Mona Lisa restera dans l’espace qui lui est dédié et l’exposition Léonard présentera, à la place, une expérience de réalité virtuelle permettant aux visiteurs de «s’immerger» dans l’oeuvre. Les questions alors s’entrechoqu­ent : si la Joconde peut être virtualisé­e, pourquoi pas l’Homme de Vitruve ? Et pour finir sur Léonard, il serait temps de ne plus s’interroger sur son identité, voire sur sa «nationalit­é», mais il est bien temps de rappeler cela : Léonard était un migrant qui allait là où le travail se trouvait.

Maîtresse de conférence­s au Centre d’études supérieure­s de la Renaissanc­e à Tours

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Galerie dell’Accademia de Vitruve.

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