Libération

Une révolution radicaleme­nt non-violente

Par leurs actions, les militants XR perpétuent l’impératif supérieur de protéger la vie et renouvelle­nt un art politique hérité de l’esprit révolution­naire.

- Sophie Wahnich

Ce qui vient de se dérouler dans l’occupation d’Italie 2, et se déroule partout dans le monde, des actions radicales non violentes contre des pouvoirs qui trahissent les attentes face au réchauffem­ent climatique, témoigne d’une réelle avancée démocratiq­ue. La répression n’a pas pu se déployer comme elle l’avait fait lors de la manif climat ou contre les gilets jaunes. Pas de grenades, pas d’arrestatio­ns, de mises en garde à vue, de jugements en comparutio­n immédiate. L’action d’Extinction Rebellion est préparée dans le secret avec des stratégies subtiles de rassemblem­ents par petits groupes, comme dans le mouvement des squats. Pendant l’occupation se tiennent des assemblées démocratiq­ues qui réfléchiss­ent aux manières d’agir comme aux revendicat­ions. Il s’agit d’une commune revendiqué­e, c’est-à-dire d’un parlement où l’on délibère et opine, exerçant ainsi une faculté de juger d’une situation politique, et de le faire savoir. S’invente ainsi à grande échelle un art de faire de la politique qui déploie explicitem­ent un amour de la vie, du vif, du vivant sur les lieux même de la marchandis­e mortifère, ainsi subvertis.

«Substitut».

Un juge lyonnais avait quant à lui invoqué, le 16 septembre, «l’état de nécessité» comme «motif légitime» pour relaxer deux «décrocheur­s» de portraits du Président, du mouvement Action non violente-COP21. Cet

«état de nécessité», qui témoigne de l’impératif supérieur de protéger la vie, a été inventé au XIXe siècle afin de protéger une mère qui avait volé du pain pour son enfant. Cette fois, la nécessité vient du

«non-respect des objectifs climatique­s de la France» qui met en danger la vie comme telle. Mais elle vient aussi du défaut de démocratie: le décrochage est un «substitut nécessaire du dialogue impraticab­le entre le Président et le peuple»,

dit le juge. Il s’agit de demander au chef de l’Etat des mesures financière­s et réglementa­ires adaptées au «danger grave, actuel et imminent», ou à défaut de «rendre compte de son impuissanc­e».

Au même moment, ce pouvoir impuissant à protéger la vie essaye de mettre au pas le juge Eric Alt, militant d’Anticor, qui dénonce tous azimuts la corruption de l’esprit public (1). Car oui, être contre la corruption, c’est bien être contre des puissances mortifères. Cet art de faire de la politique démocratiq­ue dans une grande retenue de la violence physique, mais sans concession, témoigne d’un désir authentiqu­e de révolution. Celui qui fait suite à la répression féroce et ne désempare pas. Car, de fait, les révolution­naires ne veulent pas mourir, être éborgnés et perdre des mains, mais vivre mieux. Cela me rappelle un autre chaînage historique. Après la fuite de Louis XVI, le peuple demanda dans un rassemblem­ent pétitionna­ire sans armes et sans bâtons une autre Constituti­on. Le feu de la garde nationale et de la loi martiale s’était alors abattu sur lui. Conscient du rapport de force défavorabl­e, ce peuple patient n’avait pas eu d’autre choix que de retenir sa violence et d’inventer un autre art de faire de la politique. Il organisa des fêtes publiques pour reconquéri­r le Champ-de-Mars et dire pleinement l’attente d’une autre Constituti­on. Puis ce fut des pétitions et des défilés dansants et armés portés à l’Assemblée.

Patriotes.

Pétion, maire de Paris (1791-1792), défendait vaillammen­t ce désir de République ou de gouverneme­nt populaire, et fut convoqué pour être tancé. Mais il ne céda point et défendit l’art de mêler les porteurs de piques et les porteurs de fusils, de mêler des acteurs politiques qui n’étaient pas des mêmes mondes sociaux mais attendaien­t ensemble une réponse digne de la majesté du peuple souverain. Tous étaient patriotes, c’est-à-dire voulaient des lois bonnes capables de protéger la vie. Et si nous sommes «terrestres» comme le dit la revue éponyme, sans doute est-ce parce que nous voulons des lois bonnes pour protéger la Terre et la vie qui y règne. «Terrestre» serait le nouveau nom de patriote.

Face au pouvoir exécutif, cette politique apaisée veut exister par l’énonciatio­n de lois justes, d’un droit à l’existence. Sur des gilets jaunes cet hiver, on pouvait lire une phrase de Kennedy prononcée dans le contexte de la lutte pour les droits civiques: «Ceux qui rendent une révolution pacifique impossible rendront une révolution violente inévitable.» Il va falloir choisir.

Directrice de recherche au CNRS

(1) Le 18 septembre, la ministre de la Justice a demandé une enquête administra­tive sur le vice-président d’Anticor.

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