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MAISONS HANTÉES Esprit, es-tu droit ?

A la Renaissanc­e, la justice française se penche sur les fantômes. Sur fond de guerres de religion et d’épidémies de peste, on leur reconnaît une existence légale qui peut valoir rupture de bail.

- Par Caroline Callard Directrice d’études à l’EHESS

Avendre cet automne, luxueux manoir entièremen­t restauré avec vue sur l’Hudson et à moins de 40 km de Manhattan : affaire à saisir ! Bâtie en 1890 dans le style Queen Anne, la demeure aux couleurs claires présente une aimable façade articulée de bow-windows où jouent la lumière des eaux et l’ombre que projettent les pins majestueux du vaste jardin. Les petites annonces que l’on peut consulter parlent des riches propriétai­res qui s’y sont succédé : metteurs en scène, acteurs, chanteurs… Rien, en revanche, sur ses hôtes plus anciens et moins incarnés : rien sur les fantômes qui peuplent les quinze chambres et leurs cinq salles de bains. Le «1 La Veta Place» est pourtant célèbre dans l’histoire de la justice américaine pour avoir été jugé «légalement hanté». En 1989, sa propriétai­re, Helen Ackley, avait signé un compromis de vente avec un trader de Wall Street, Jeffrey Stambovsky. Mais avant de signer l’acte de vente, les Stambovsky avaient appris que le manoir était hanté en lisant les petits articles rédigés par Helen Ackley elle-même dans le Reader’s Digest et la presse locale. Elle vivait en bonne intelligen­ce avec ces fantômes d’un genre courtois, qui avaient offert une paire de petites sandales argentées et un anneau d’or aux enfants. Jeffrey Stambovsky, lui, ne voulait rien savoir. Il s’estimait floué et, considéran­t que le manoir recelait un vice caché, réclamait le remboursem­ent de l’acompte versé. Débouté une première fois, il finit par obtenir gain de cause en appel auprès de la cour suprême de New York en 1991, dans un jugement qui fit l’effet d’une bombe. Le juge Israel Rubin avait osé l’établir : «As a matter of law, the house is haunted» («d’un point de vue légal, la maison est hantée»).

L’«arrêt des esprits»

Le juge de New York estimait que les articles d’Ackley avaient établi la réputation du manoir hanté, ce

 ?? Photo The kobal collection. Aurimages ?? Image extraite du film Amityville, la maison du diable (1979) de Stuart Rosenberg.
Photo The kobal collection. Aurimages Image extraite du film Amityville, la maison du diable (1979) de Stuart Rosenberg.

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