Libération

Softbank : le raté du «prophète» japonais

Le fonds d’investisse­ment japonais, dirigé par la deuxième fortune du pays, a financé WeWork à hauteur de 9 milliards de dollars en deux ans.

- Jean-Christophe Féraud

Masayoshi Son a coutume de dire qu’il est «meilleur pour prédire à quoi ressembler­a le monde dans trois cents ans que dans les trois ans à venir». Et de fait, à la tête de son groupe Softbank, il a construit depuis les années 80 un empire (qui pèse 250 milliards de dollars d’actifs) en misant notamment sur les technologi­es de demain et d’après-demain: télécoms, jeux vidéo, Internet des objets, intelligen­ce artificiel­le, robotique… Mais l’investisse­ur «visionnair­e» aurait sans doute préféré voir dans l’avenir proche quand il a décidé de parier sur WeWork en 2016, après quelques minutes seulement de discussion en voiture avec le fondateur de la start-up new-yorkaise, Adam Neumann.

«Embarrassé».

Trois ans plus tard, le réveil est brutal pour la deuxième fortune du Japon (avec 19,2 milliards de dollars, selon le classement du magazine Forbes). Masayoshi Son a reconnu, le mois dernier dans un entretien au journal Nikkei Business, qu’il était «embarrassé» par la bâche qu’il a prise en misant plus de 9 milliards de dollars dans la société de location de bureaux en coworking entre 2017 et 2019. Quand un grand patron japonais fait part de son embarras, les excuses contrites devant les caméras ne sont généraleme­nt jamais loin.

On n’en est pas encore tout à fait là. Mais le prophète de la tech nippone a reconnu l’ampleur du désastre financier mercredi : Softbank a annoncé une perte trimestrie­lle comptable de 6,5 milliards de dollars après des dépréciati­ons de valeur dans les actifs de son fonds d’investisse­ment «Vision Fund». Précisémen­t le véhicule qu’il a utilisé pour injecter des montagnes d’argent dans WeWork mais aussi d’autres stars de la tech américaine­s comme la plateforme de véhicules avec chauffeur Uber ou la messagerie profession­nelle Slack. Principale­s victimes de cette évaporatio­n d’argent: les fonds souverains saoudiens et d’Abou Dhabi qui ont placé une montagne de dollars dans le Vision Fund de Softbank.

Gros pari.

Dans le cas de WeWork, qui a été valorisé jusqu’à 47 milliards de dollars avant de se dégonfler comme une baudruche à la veille de son entrée en Bourse début octobre, Masayoshi Son a dû débourser 10 milliards de dollars de plus pour lui éviter la faillite pure et simple (5 milliards de fonds, plus 3 milliards de rachats de titres et 1,5 milliard de rachats de dette). Quant à Uber, dans lequel SoftBank a investi 7 milliards de dollars, la société a perdu plus de 30 % de sa valeur depuis sa première cotation à Wall Street en avril. Enfin, Slack, l’autre gros pari du japonais, a vu son cours chuter de 40 % depuis son introducti­on en Bourse fin juin! Mayasohi Son, 62 ans, a eu le nez plus creux dans sa carrière. Ce fils d’immigrés coréens a fait fortune à 22 ans en exportant le jeu Pac-Man aux Etats-Unis. Il a été le premier à investir dans Yahoo et le géant chinois du ecommerce Alibaba. Et en 2006, il a carrément racheté l’opérateur Vodafone Japan pour obtenir du fondateur d’Apple l’exclusivit­é du premier iPhone pour l’archipel nippon. Au final, le fiasco actuel de WeWork, qu’il pense encore pouvoir redresser, ne pèse pas bien lourd dans la saga du patron de SoftBank: au début des années 2000, «Maya» avait perdu 90 % de sa fortune dans l’explosion de la bulle Internet. Avant de faire mieux que de se refaire.

Devant des bureaux WeWork à Paris, mercredi.

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Photo Denis Allard

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