Emmanuel Macron, le pari du risque
Depuis son arrivée à l’Elysée, le Président se moque des codes, ignore les règles et les précédents. Le 5 décembre sera une journée test.
Faut-il l’appeler «Emmanuel le Hardi» ou bien «Emmanuel le Téméraire»? Au moment où il franchit la ligne médiane de son quinquennat, le Président incarne en tout cas la stratégie du risque. De sa part, ce n’est pas une surprise mais cela constitue néanmoins un sacré pari. Tout son tempérament, toute son histoire personnelle l’y poussent évidemment. Emmanuel Macron s’est construit à force d’audace. Sa vie privée en témoigne, son élection présidentielle le confirme et le théâtralise. Parvenir à se faire élire en deux ans en ne partant de rien, cela implique une chance inouïe, un concours de circonstances exceptionnelles mais aussi une hardiesse incroyable et une intuition peu banale. Dès le départ, il a osé casser tous les codes, ignorant règle et précédent, inventant un improbable raccourci. Depuis qu’il est entré à l’Elysée, il continue. Il a l’appétit de la nouveauté, la religion du changement, la passion de vouloir transformer la France à sa manière, selon ses propres valeurs, souvent hétéroclites, parfois contradictoires. Ambitieux mais aventureux, déterminé mais hyperexposé.
Cela vaut dans tous les domaines. Son style, discours élevé, formules cassantes, bien des fois maladroites ou inopportunes. Sa confiance en sa pédagogie atypique, en la confrontation propédeutique, sous les regards de la télévision ou dans le huis-clos d’un avion officiel. La conscience de son charisme et la vulnérabilité de ses constantes offensives, sur le plan diplomatique notamment, tantôt fertiles, tantôt contreproductives. Une foule d’idées, aucune doctrine. Des convictions ardentes, une idéologie fluctuante. Des valeurs qui mutent parfois, à propos de l’immigration. Entreprenante et cohérente en matière économique, sa spécialité, avec un tropisme libéral assumé mais corrigé par ce colbertisme qui habite toujours l’Elysée, de génération en génération. Un libéralisme culturel et sociétal aussi, malmené et bousculé par la fracture française. Une volonté de modifier à marche forcée le modèle social français. Plus de liberté pour les entreprises, plus de valorisation du travail pour les salariés, plus de contraintes pour les chômeurs, plus de fermeté pour l’éducation, plus de rigueur pour la sécurité, plus d’élan incarné pour la politique étrangère. Une visibilité internationale incontestable autant qu’émaillée de controverse. Des résultats significatifs sur l’emploi, honorables sur la croissance, affleurants sur le pouvoir d’achat, décevants sur le plan budgétaire, contrastés sur le plan fiscal. Emmanuel Macron, à coup sûr, fait bouger les lignes. La question est maintenant, pour la suite et fin de son mandat, de savoir jusqu’où tiendra le consentement social. S’il pourra poursuivre la dynamique parfois cahotante du changement ou s’il se trouvera bloqué par un refus trop puissant, voire par un rejet cinglant.
On le vérifie de septennat en quinquennat depuis le début de la Ve République: chaque président débarque avec son programme. La première année, légitimé par l’élection toute fraîche au suffrage universel, il bénéficie d’une latitude d’action. La deuxième année, les Français toujours impatients commencent à scruter les effets des changements. A partir de la troisième année, au milieu du gué, ils protestent et se braquent. La suite dépend du savoir-faire présidentiel et, au moins autant, de la complaisance, de la morosité ou de l’aigreur des circonstances. Or l’économie mondiale va mal, l’Europe s’enlise et Macron s’est engagé dans de nouvelles réformes qui inquiètent ou irritent. Son caractère, sa vocation, toute la logique de son entreprise de réforme, le poussent à persister. Mais la réforme de l’assurance chômage choque. La situation des hôpitaux mécontente profondément, la désertification médicale angoisse. Policiers, gendarmes, pompiers, mis à rude épreuve depuis des années, a fortiori depuis la campagne des gilets jaunes, sont furieux. La réforme de la retraite inquiète, chacun comprenant bien qu’il y aura des gagnants silencieux et des perdants bruyants. La logique même de la réforme n’est pas, c’est le moins que l’on puisse dire, d’une clarté totale. Même s’il apparaît souhaitable de sortir du maquis absurde de nos 42 régimes inégaux, un périlleux exercice de comparaison, donc de jalousies et d’amertumes, va s’engager entre les branches professionnelles. Chacun comprend bien que c’est sur ce champ de bataille là que va se jouer la fin du quinquennat. Le 5 décembre sera le jour le plus long. L’ampleur de la mobilisation, la durée du conflit, l’éventuelle coagulation des mécontentements, l’attitude du gouvernement devant l’épreuve et finalement la posture de Macron luimême, détermineront le destin de l’acte II. Pour le coup, c’est à cette occasion, consciemment recherchée, qu’il faudra solder le prix de l’audace. On voit bien les précautions dont s’entoure l’exécutif, l’opération de déminage qui se développe. Reste qu’une réforme aussi majeure que celle-là, selon qu’elle s’achèvera par un succès, par un recul ou un enlisement, colorera définitivement la tentative de transformation de la France entreprise par Macron. Le choix du risque en sortira victorieux ou épuisé. •