«Les Revers de l’amour», liens sans l’autre
L’historienne Sabine MelchiorBonnet relate en détail les ruptures sentimentales de couples célèbres.
Tout semble avoir été dit sur l’amour. Tout ? Une question que Sabine Melchior-Bonnet, historienne, pose d’emblée et à laquelle elle répond de manière «simple» et convaincante : si la conquête amoureuse a abondamment alimenté la littérature et l’histoire, la rupture amoureuse n’a, en revanche, guère été constituée en objet de recherche. Et pourtant les conflits, les chagrins et leurs vicissitudes ont, eux aussi, une histoire, soumis qu’ils sont à des codes culturels qui, même de nos jours, nous échappent en partie. Ce qui fait la fortune de magazines feuilletés chez coiffeurs ou dentistes, articles qui, eux, de «source autorisée» nous révèlent tout sur la rupture ou la proche rupture de telle célébrité et de son compagnon (ou compagne, mais c’est encore un sujet tabou…). Chez les gens ordinaires, une union sur deux se termine actuellement par un divorce. Rousseau avait pressenti l’affaire. Lui qui célébrait le mariage d’amour, dans
apportait cependant une nuance intéressante : «Les noeuds qu’on veut trop serrés rompent. Voilà ce qui arrive à celui du mariage quand on veut lui donner plus de force qu’il n’en doit.» Une phrase à mettre au frontispice de pas mal d’ouvrages ou de mairies.
Libertin.
A partir de là, notre historienne déroule une analyse passionnante de ruptures plus ou moins fameuses, d’Héloïse et Abélard à Charles et Diana, en passant par une quinzaine de ruptures de couples dont les noms nous sont familiers (Louis XIV et Louise de La Vallière en passant par Pouchkine et Nathalie Gontcharova), d’autres inconnus, et dont nous ignorions en réalité tant les ressorts conscients que cachés ou inconscients. Autant d’épisodes qu’on dévore comme ceux d’une excellente série, se disant à chaque fois «encore un…». Car il y a rupture et rupture !
L’auteure s’avère être une remarquable psychologue, mais à la différence des magazines qui brodent à partir d’une photo ou d’une phrase citée hors de son contexte, Sabine Melchior-Bonnet n’invente rien, ses sources sont celles d’une historienne qui a fait un travail colossal pour passer de siècle en siècle avec fluidité. Quoi de commun en effet entre une
Diana et Charles à Toronto en 1991.
rupture pour une affaire d’honneur, un conflit alimenté par un dépit amoureux ou par un adultère ? Quoi de commun entre des séparations à l’amiable, les passions d’un libertin qui butine de femme en femme (l’histoire de James Boswell est savoureuse), l’adultère bourgeois, impérial ou littéraire (qui connaît la véritable histoire des ruptures de Napoléon et Joséphine, de Musset et George Sand, de
Simone de Beauvoir et Nelson Algren, d’Onassis et la Callas?) Osons le dire: pas grand monde… car ce sont des clichés, des fragments de correspondance, des biographies à charge ou à décharge sur lesquels nous fantasmons allégrement, certains de leur «vérité»! On découvre maintenant l‘existence des «Frex» (de friend and ex), anciens conjoints ou amants devenus d’excellents amis. La lecture de ce livre montre que ce n’est pas si nouveau que ça, mais décliné autrement.
Crise.
Difficile de conclure sur ce «grand mythe de l’Occident qu’est l’amour». L’auteure prend exemple de l’expérience passionnée qui a uni pendant sept ans Catherine Pozzi, mathématicienne et poète, 40 ans et mal mariée, à un autre poète et penseur, Paul Valéry, époux paisible et père de trois enfants. Amour profond et entier où chacun semble s’incarner dans l’autre. Catherine écrivait: «Il faut entrer en amour comme on entre en religion.» Les écarts n’ont pas manqué mais ils ont offert un puissant ressort à la créativité mutuelle des amants (Valéry écrira pendant leur liaison Charmes, son plus beau recueil de poèmes). Mais comme une toile trop tendue, cet amour a fini par se rompre. La relation prit fin dans une crise violente; lorsque Valéry lui rend visite en janvier 1928, elle lui donne brusquement congé :
«Un matin j’ai dit à l’Amour de partir à jamais.» Après sa mort, le notaire à sa demande a brûlé une grande partie de leur correspondance. Sabine Melchior-Bonnet a dû se tourner vers certains philosophes (dont François Jullien et Claire Marin) qui l’ont aidée à conclure ce tumulte de ruptures sur une note paradoxalement optimiste. Elle écrit :
«Le nombre des divorces traduit la vitalité de la foi dans le couple et son aspiration à la durée. A condition de laisser à l’amour le temps de creuser l’intériorité et de vivre l’intime.» Qu’on se le dise… geneviève delaisi
de parseval
Sabine MelchiorBonnet Les Revers de l’amour. Une histoire de la rupture
PUF, 480 pp., 22 €.