Les dispositifs pénibilité du privé, maigre compensation
Les conditions de travail justifiant les régimes spéciaux n’étant pas près de disparaître, les recettes du privé pourraient s’appliquer. Mais le compte n’y est pas.
C’est une inconnue de la réforme des retraites : comment sera prise en compte la pénibilité ? Ce mot honni par Emmanuel Macron, parce qu’il «donne le sentiment que le travail serait pénible», est une des raisons d’être des régimes spéciaux. C’est notamment parce que certains professionnels sont exposés à des conditions de travail plus difficiles qu’ils disposent de règles de départ anticipé à la retraite. Or ces dernières sont dans le viseur de l’exécutif. Mais leur suppression ne veut pas dire disparition de la pénibilité… Ce qu’admet JeanPaul Delevoye. En guise de compensation, le haut-commissaire à la réforme préconisait dans son rapport de généraliser les dispositifs «pénibilité» du privé : la retraite pour incapacité permanente et le compte professionnel de prévention (C2P). «Avec le régime universel, nous allons embarquer la pénibilité dans le secteur public», a-t-il confirmé au Parisien jeudi. Une solution insuffisante pour les syndicats, ces deux outils étant jugés imparfaits.
Incapacité. Dernier né, le C2P est une création de l’ère Hollande. Alors intitulé «compte personnel de prévention de la pénibilité», il permettait aux salariés de cumuler des points en fonction de leur niveau d’exposition à dix risques professionnels (travail de nuit, en équipes successives alternantes, répétitif, en milieu hyperbare, manutentions manuelles de charges, vibrations mécaniques, postures pénibles, agents chimiques dangereux, températures extrêmes, bruit). Points donnant ensuite la possibilité de partir en formation, demander un temps partiel, et surtout gagner jusqu’à huit trimestres pour partir plus tôt à la retraite. Mais l’outil, à la suite des pressions du patronat, a été revu après l’élection d’Emmanuel Macron. Outre la référence à la «pénibilité», il a été élagué de quatre types d’exposition (postures pénibles, manutentions, vibrations mécaniques, agents chimiques dangereux) qui ne sont désormais reconnus qu’a posteriori, seulement si les salariés déclarent une maladie professionnelle et un taux d’incapacité permanente de plus de 10%. Une logique de réparation bien éloignée de l’idée initiale de prévention. Ainsi vidé de sa substance, le dispositif apparaît limité: selon le Conseil d’orientation des retraites (COR), sa mise en place devrait permettre, en 2060, à environ 18 000 assurés d’anticiper leur départ à la retraite, de trois trimestres en moyenne. C’est pourtant cet outil que JeanPaul Delevoye veut généraliser dans le régime universel de retraites, les trimestres obtenus par ce biais devenant tout simplement des points «pénibilité». L’outil sera ainsi étendu aux fonctionnaires et régimes spéciaux, selon les mêmes conditions. Toutefois, «afin de prendre en compte les spécificités de l’organisation du travail dans ces secteurs, une concertation sera ouverte sur l’aménagement du C2P en matière de seuil d’exposition aux facteurs de risque tels que le travail de nuit», promet le rapport Delevoye.
Seuils. Du côté de la CFDT, on a donc espoir que la réforme représente une opportunité d’améliorer le C2P. Le syndicat réclame que les critères disparus soient réintroduits «d’une façon ou d’une autre», ainsi qu’une baisse des seuils de tous les critères. La CGT Fonction publique, elle, est très hostile à cette solution, qui «ne répond pas à la question de la pénibilité». Et pour cause, le C2P «permet un départ anticipé de deux ans au mieux et au bout de vingt-cinq ans d’exposition pour un seul critère d’exposition». Le syndicat dénonce aussi des seuils «inaccessibles à de nombreux salariés». Parmi les principaux lésés: ceux «exposés à plusieurs critères mais en dessous des seuils du C2P, [qui] ne sont pas du tout pris en compte».
Autre préconisation de Jean-Paul Delevoye : l’ouverture de la retraite pour incapacité permanente des salariés du privé aux fonctionnaires et salariés des régimes spéciaux. Cette dernière permet aux personnes victimes d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle ayant entraîné une incapacité d’au moins 20 % (ou de 10 % pour une exposition d’au moins dix-sept ans) de partir à la retraite dès 60 ans à taux plein. Mais là aussi, le dispositif touche à ce jour très peu de monde. En 2018, un peu plus de 2 400 personnes ont pris leur retraite par ce biais, selon le projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2020. Surtout, il n’opère que lorsque l’invalidité est déjà là. L’outil est notamment inadapté pour les maladies liées à l’exposition à des produits chimiques ou toxiques, dont les effets peuvent prendre du temps à se manifester. En 2018, le Dr Paul Frimat a formulé des recommandations sur le sujet, à la demande du gouvernement. Un rapport resté, pour l’heure, sans suite.