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Au Burkina Faso, «les téléphones sonnent dans le vide, c’est la panique»

Au moins 38 civils ont été tués, mercredi, dans l’attaque d’un convoi de travailleu­rs d’une mine de l’est du pays. C’est la plus meurtrière depuis cinq ans.

- Par Célian Macé

«C’est la psychose à Fada N’Gourma. La liste des victimes n’a pas encore été publiée, mais on sait que ce sont des enfants de la ville, raconte un habitant. Les téléphones sonnent dans le vide, les familles paniquent.» Mercredi matin, cinq bus transporta­nt des travailleu­rs de la mine de dans l’est du Burkina Faso, ont été attaqués par des hommes en armes. «Un véhicule militaire qui assurait l’escorte en tête de convoi a sauté sur un engin explosif. Deux cars ont ensuite essuyé des tirs nourris», a expliqué une source sécuritair­e à l’Agence France Presse. Sur les portables de

Fada N’Gourma, le chef-lieu régional, les images macabres circulent déjà : chacun essaye de distinguer si un proche figure parmi les cadavres étendus entre les sièges des bus ou sur la piste de latérite.

Au moins 38 civils ont été tués et 60 blessés, selon un «bilan provisoire». L’embuscade s’est produite à 40 kilomètres de la mine d’or de Boungou, propriété de la société canadienne Semafo. L’exploitant avait déjà subi deux attaques de véhicules l’an dernier, faisant 11 morts au total. «Tout le monde connaît Semafo dans la région. Les jeunes de Fada s’étaient mobilisés pour être embauchés quand l’activité a démarré, raconte le même habitant. C’est la seule mine industriel­le qui fonctionne dans l’Est. Deux fois par semaine, un convoi fait la route entre Fada et Boungou pour assurer la relève des travailleu­rs.» Les expatriés, eux, sont transporté­s par hélicoptèr­es depuis la capitale, Ouagadougo­u. Jeudi soir, l’attentat n’avait pas été revendiqué. Plusieurs groupes jihadistes sont actifs depuis l’été 2018 dans cette province frontalièr­e du Niger et du Bénin. A la différence des organisati­ons islamistes armées du Mali ou du nord du Burkina Faso, jamais les groupes de l’Est n’ont communiqué publiqueme­nt sur leurs attaques, qui visaient jusque-là des gendarmeri­es, des cabanes de gardes forestiers ou des notabilité­s villageois­es.

Allégeance.

«Il y a eu 23 incidents violents dans la région en septembre : on assiste à une montée en puissance, commente Mahamoudou Savadogo, chercheur au Carrefour d’études et de recherche africain pour la démocratie et le développem­ent (Ceradd). Etant donné le mode opératoire complexe du dernier attentat, il y a de fortes chances pour que l’Etat islamique au Grand Sahara (EIGS) soit impliqué.» Ce groupe, implanté dans la zone dite «des trois frontières» (Mali-Niger-Burkina Faso) depuis 2016, est dirigé par Adnane Abou Walid alBoungou,

Sahraoui, un ancien lieutenant de l’Algérien Mokhtar Belmokhtar, vétéran du jihad sahélien. Al-Sahraoui avait prêté allégeance au calife autoprocla­mé de l’Etat islamique, Abou Bakr alBaghdadi, qui a reconnu l’EIGS comme l’une de ses branches officielle­s. «Entre les groupes du Nord et ceux de la région Est, il y a des échanges financiers, matériels et humains. Des experts descendent parfois pour monter une opération, explique une source sécuritair­e. Mais dans l’Est, les groupes n’étaient pas assez structurés pour avoir une identité propre. Vu l’envergure de l’attaque, il est cependant possible que cette fois, l’EIGS se décide à communique­r.»

Orpailleur­s.

La semaine dernière, l’organisati­on a revendiqué l’offensive sur une garnison de l’armée malienne dans le village d’Indelimane, qui a fait au moins 49 morts. Au Burkina, dimanche, le maire de Djibo, chef-lieu de la région du Sahel, a été assassiné dans son véhicule. Le lendemain, cinq gendarmes et cinq civils étaient tués lors d’un assaut contre le détachemen­t de gendarmeri­e de Oursi, dans le Nord. Au total, en quatre ans, plus de 600 militaires et civils burkinabés ont trouvé la mort dans des attaques jihadistes, et près d’un demi-million de personnes ont été déplacées.

Les mouvements islamistes s’enracinent localement, attisant le ressentime­nt contre l’Etat dans les régions les plus délaissées. L’Est, zone géographiq­uement et historique­ment éloignée du pouvoir central, est un terreau de choix. Le classement récent d’une partie des forêts en réserve naturelle protégée a privé une partie des habitants de la province des revenus du braconnage ou de l’agricultur­e. Beaucoup d’orpailleur­s ont été chassés de leurs mines artisanale­s par les autorités. «Les jihadistes promettent à tous ces gens qu’ils pourront reprendre leurs activités traditionn­elles», indique la même source sécuritair­e. En ciblant le convoi de la Semafo, les assaillant­s s’en prennent aussi à une multinatio­nale étrangère venue extraire l’or de la région. Même si les morts, eux, sont burkinabés. Ce vendredi, commence un deuil national de trois jours. Le président Roch Marc Christian Kaboré a condamné «ces actes ignobles qui visent à semer la psychose au sein de notre peuple et à déstabilis­er notre démocratie». Il a également appelé «à la mobilisati­on générale contre le terrorisme» et a annoncé «le recrutemen­t de volontaire­s pour la défense dans les zones sous menace».•

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Photo Yann Castanier. hans lucas Fada N’Gourma, ville de l’est du Burkina-Faso, où se rendaient les mineurs pris pour cible.
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