Libération

Mexique : «Ô mon beau narco»

- Emmanuelle Steels (à Mexico)

«Cent pick-up sont arrivés à Culiacán avec tout un arsenal / C’est la guerre, pour défendre le patron / Le cartel n’a pas froid aux yeux, les militaires se sont trompés / Ovidio est tombé mais leur satisfacti­on n’a pas duré… / Maintenant, il ne leur reste qu’une photo de première page / Désolé Messieurs Guzmán pour l’intrusion, dit le gouverneme­nt aux chefs de la place.» S’il n’y en avait qu’une… Mais ce sont des dizaines de chansons qui, sur l’air entraînant de l’accordéon, se répandent en louanges nasillarde­s sur les preux chevaliers narcos qui ont cerné, épouvanté et ridiculisé les forces de sécurité mexicaines le 17 octobre à Culiacán, capitale de l’Etat du Sinaloa. Les hommes du cartel ont dégainé leur puissance de feu dans les rues de la ville jusqu’à ce que les militaires libèrent Ovidio Guzmán, un des fistons d’El Chapo, l’ancien chef du cartel de Sinaloa. A Culiacán, on a coutume de dire que l’organisati­on entretient une certaine «hygiène» sécuritair­e dans son fief et que les militaires ne devraient pas semer le désordre dans la «pax narca». «Ils respectent les gens, alors les gens les respectent», dit-on du cartel. Sous les ordres des frères aînés d’Ovidio, la démonstrat­ion de force des narcos «respectueu­x» s’est soldée par treize morts.

A Culiacán, c’est de l’histoire ancienne, les narcos mènent la danse et imposent leur version. Mais à Mexico, il y a un président qui, un an après son arrivée au pouvoir, bénéficie encore d’un impression­nant soutien populaire, mais ne sait plus comment aborder le problème de la violence. Il n’y avait pas de sortie honorable au fiasco de Culiacán, alors Andrés Manuel López Obrador s’est félicité qu’un (plus grand) bain de sang ait été évité. C’était une opération improvisée et mal planifiée, bredouille­nt ses collaborat­eurs.

Le plan pour éviter d’autres bains de sang et pour reprendre le contrôle des régions décimées par la violence des narcos triomphant­s est, à tout le moins, flou. Le président AMLO, comme l’appellent les Mexicains, misait sur une prophétie : «La guerre est finie, le temps de la paix est venu.» Mais les sicarios, qui ont massacré trois femmes et six enfants sur une route du nord du Mexique lundi, n’ont pas écouté. Les victimes étant des mormons à la double nationalit­é américanom­exicaine, Donald Trump propose d’envoyer des militaires pour liquider les narcos. Comme si son pays n’était pas le grand toxicomane, le grand mécène des cartels mexicains… Et AMLO d’embrayer sur sa mélopée préférée: «On ne combat pas le feu par le feu.» Le Président veut asphyxier les cartels en luttant contre la pauvreté et la corruption. Certes, mais il faut aller beaucoup plus loin, soupirent les experts avisés, qui prônent une coordinati­on de toutes les institutio­ns de l’Etat pour démanteler les soutiens politiques et économique­s du crime organisé. Une lutte de l’Etat contre son cancer. Face à l’ampleur du désastre, avec l’incertitud­e pour seul horizon et l’improvisat­ion comme stratégie assumée, le Mexique réclame un plan et un président pour l’expliquer.

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