Libération

Mourir «si je veux, quand je veux» ?

En matière de fin de vie, il est urgent que la loi soit modifiée afin de permettre à des malades gravement atteints et en fin de vie de cesser de souffrir inutilemen­t. Pour autant, ce droit doit rester très encadré.

- Par Élisabeth Roudinesco

Ala lecture de la tribune rédigée par un groupe de féministes (Libération du 1er novembre), dont certaines avaient signé, en 1971, le Manifeste des 343, on éprouve un véritable malaise. Loin de revendique­r une améliorati­on de la loi Claeys-Leonetti sur la fin de vie, votée en 2015, les signataire­s réclament l’instaurati­on d’une loi qui stipulerai­t que chaque citoyen français pourrait, «quand il le veut», bénéficier d’une aide à la mort. Si cet appel était entendu, il entérinera­it l’idée que l’on peut tuer légalement les dépressifs, anxieux, suicidaire­s ou borderline­s qui en feraient la demande. Et dieu sait s’ils sont nombreux !

Mais plus étonnant encore, cet appel invite les élus de la République à se «détacher des lobbys pharmaceut­iques et religieux» afin de faciliter à toute personne qui en exprimerai­t le désir la possibilit­é de mettre un terme à sa vie, en étant aidée par un organisme. Soit parce qu’elle serait «fatiguée de vivre» soit parce qu’elle aurait le sentiment d’une «vie accomplie». Telle est la significat­ion de cette propositio­n : «Nous exigeons aujourd’hui pour nous et pour tous qu’il soit fait droit à cette liberté fondamenta­le : mourir dignement, si nous le voulons quand nous le voudrons.» Et les signataire­s ajoutent que 96 % des Français sont favorables à l’euthanasie et au suicide assisté, ce qui est inexact. Si l’on étudie de près le sondage cité (Ipsos), on constate que 60 % des Français considèren­t que ce droit doit être encadré et réservé à des personnes atteintes de pathologie­s graves ; 36 % invoquent le droit à la liberté d’en finir avec la vie, quelles que soient les conditions de santé.

Les signataire­s de la tribune indiquent que dans plusieurs pays, les lois sur la fin de vie sont plus évoluées que la loi française. En effet, le Canada, la Belgique, la Suisse, le Luxembourg et les Pays-Bas autorisent de telles pratiques mais à condition que la personne soit atteinte d’une pathologie incurable. On est très loin du «si je veux quand je veux», même si, depuis quelques années, de graves dérives sont apparues, ici et là, qui consistent à mettre à mort toute personne angoissée qui le demande. D’où l’afflux de candidats qui se pressent dans les cliniques où des «anges de la mort» leur administre­nt une potion magique censée les endormir dans la plus grande joie possible. Il suffit de regarder les vidéos postées sur Internet pour avoir la nausée.

Par ailleurs, on ne voit pas pourquoi les signataire­s de ce texte déclarent que leur appel serait la poursuite de leur lutte en faveur de la dépénalisa­tion de l’avortement. Que je sache, il n’y a aucune relation entre l’interrupti­on volontaire de grossesse (IVG), qui met fin à un processus biologique, et une prétendue interrupti­on volontaire de la vie (IVV). N’en déplaise à tous les intégriste­s, un foetus n’est pas et ne sera jamais un sujet de droit ni un être humain. Il n’y a donc aucune forme de mise à mort dans la pratique d’un avortement. Et nous avons assez combattu les opposants à l’IVG pour savoir que la plupart d’entre eux soutiennen­t que le foetus étant un être humain, il est criminel de s’en défaire, ce qui ne les empêche pas, bien souvent, d’être favorables à la peine de mort et donc à l’assassinat légal d’un être humain. Comment des féministes peuvent lier aujourd’hui, par une incroyable ruse de l’histoire, la lutte en faveur de l’IVG à un prétendu droit au «si je veux quand je veux», c’est-à-dire à la mise à mort légale de soi-même par un autre ? Enfin, pourquoi traiter avec condescend­ance, dans cette tribune, tous ceux qui ont eu recours au suicide par défenestra­tion, noyade, sédation profonde ? Certes, le choix d’une telle mort violente est un traumatism­e pour les survivants. Mais pourquoi soutenir que ces personnes auraient mieux fait de demander une assistance légale plutôt que d’agir seules ? On éprouve une gêne quand on pense à l’acte héroïque qu’est le suicide sans la moindre demande d’assistance. Faudra-t-il un jour condamner Gunter Sachs qui, atteint d’une maladie d’Alzheimer, s’est tiré une balle dans la tête ? Faudra-t-il critiquer André Gorz qui a choisi d’accompagne­r dans la mort sa femme, atteinte d’un cancer généralisé ? Faudra-t-il un jour, pour éviter une telle confrontat­ion, abolir la notion même de suicide, au profit d’une mise à mort par assistanat, jugée plus sécurisant­e ? Ce serait manquer de respect à tous ceux qui ont eux le courage de cette mort volontaire, bannie en Occident pendant des siècles et aujourd’hui reconnue comme un droit. Même l’Eglise catholique enterre aujourd’hui les suicidés.

En matière de fin de vie, il est urgent que la loi française soit modifiée afin de permettre à des malades gravement atteints et en fin de vie de cesser de souffrir inutilemen­t sans avoir à attendre un stade terminal. Mais pour autant il faut exclure de la loi les «si je veux quand je veux». Quand on veut se suicider, on y parvient toujours, quel que soit le milieu social auquel on appartient. Faut-il rappeler que le suicide est plus fréquent aujourd’hui chez les agriculteu­rs que dans les classes les plus aisées de la population.

Et si l’on veut être cohérent, il faudra bien cesser un jour d’utiliser à tout bout de champ les termes de «suicide assisté» et «d’euthanasie passive ou active». Par essence, le suicide ne peut être assisté puisqu’il est l’acte de se donner la mort à soimême par ses propres moyens. Quant au mot «euthanasie» de sinistre mémoire, il devrait être banni dans les plus brefs délais car il est devenu le signifiant majeur de l’exterminat­ion des malades mentaux et des handicapés par les nazis (Aktion T4). Luttons donc pour l’avancée d’une loi visant à aider à mourir dignement toute personne qui en ferait la demande (orale ou écrite), dès lors qu’elle serait atteinte d’une maladie organique incurable et dégradante, ou que, par accident ou autre événement, elle serait réduite à un état de légume. Voilà ce que devrait être un programme humaniste digne de ce nom. •

Historienn­e de la psychanaly­se

Si l’on étudie de près le sondage cité (Ipsos), on constate que 60 % des Français considèren­t que ce droit doit être encadré et réservé à des personnes atteintes de pathologie­s graves…

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