Libération

Le coup du foulard

Rodrigo Arenas Le coprésiden­t de la FCPE revendique l’affiche de soutien aux mères voilées, accompagna­ntes de sortie scolaire, qui a fait polémique.

- Par Virginie Bloch-Lainé Photo jérôme Bonnet

Les résultats de l’élection seront connus fin novembre. Mais les choses semblent bien se présenter pour la Fédération des conseils de parents d’élèves (FCPE). «On a eu raison !» se félicite Rodrigo Arenas, son coprésiden­t. «Raison» de concevoir fin septembre une affiche de campagne qui a mis le feu aux poudres. Elle montrait une mère coiffée d’un «foulard» à côté d’une enfant, avec ce slogan : «Oui, je vais en sortie scolaire, et alors ? La laïcité, c’est accueillir à l’école tous les parents, sans exception.» Il y eut une polémique, puis récemment le vote de sénateurs de droite en faveur de l’interdicti­on des signes religieux aux parents accompagna­nt les sorties scolaires. Historique­ment de gauche, la FCPE affirme avoir agi au nom de la laïcité telle qu’elle la comprend. Puisque, selon Arenas, «certaines équipes pédagogiqu­es», au mépris de la loi, s’arrangerai­ent pour éviter que des mères coiffées d’un «foulard» accompagne­nt leur enfant en sortie scolaire, l’associatio­n a soutenu celles-ci. Bénévole auprès de la FCPE, porté à sa tête à l’unanimité, «une première», Arenas a imposé une coprésiden­ce pour instaurer une parité.

Il habite à Sevran, en Seine-Saint-Denis, et travaille comme cadre administra­tif pour le départemen­t. Nous le rencontron­s dans un café à côté de la Bibliothèq­ue nationale. Il entre avec un sourire et une écharpe violette, tous les deux aussi lumineux. Une salariée de la FCPE l’accompagne et assistera à tout l’entretien. Fils de réfugiés chiliens, arrivé en France à l’âge de 4 ans, Arenas n’a pas une once d’accent. De visage, il ressemble à Richard Anconina. Il est sympathiqu­e et nerveux, petit et fin, habillé de noir et chaussé de bottines en daim, et parle à la vitesse d’un commentate­ur sportif. La fameuse affiche relevait-elle de la provocatio­n ou du prosélytis­me ? Non, selon lui, elle traduisait un engagement en faveur, pas du «foulard», mais du droit de tous les enfants, y compris ceux dont les mères sont voilées. C’est «le côté laïque et républicai­n de la FCPE». Et cet athée de se mettre à faire l’inventaire des acceptions de la laïcité, ne reculant pas parfois devant son goût du calembour: «Certains invoquent les Lumières, mais les Lumières, faut les lire, et il y en a qui feraient mieux de remettre des ampoules.» Il consacre ses soirées à la fédération. Les tensions religieuse­s, ce père de quatre garçons les connaît bien : «Les mamans qui portent un foulard, ce sont mes voisines ! Ce sont elles qui s’occupent de nos enfants quand ma compagne ou moi avons un empêchemen­t.» Et d’affirmer, sourire envolé, que «cette affiche a levé un tabou» et que ceux qui s’y opposent sont «racistes et xénophobes».

Le ministre de l’Education a reproché à l’affiche son caractère électorali­ste. Rodrigo Arenas l’assume. Qui ne souhaite pas gagner des élections ? Son timbre voilé évoque celui de Balavoine, chanteur qu’il cite souvent. A plusieurs reprises, il rappellera son appartenan­ce à la «génération Balavoine». Elle se donnait pour mission de «changer le monde». Aujourd’hui, dit-il, «il ne s’agit plus de le changer, mais de le sauver.»

Il a baigné dans le militantis­me. Son père a fui le Chili en raison de son opposition à Pinochet et s’est inscrit au PC chilien en France. Sa tante fut torturée et son oncle était un avocat engagé. Lycéen, il adhère aux Jeunesses communiste­s et sèche les cours pour manifester. Après son bac, il étudie l’histoire sans enthousias­me. Le salut vient d’un séjour en Espagne, dans le cadre d’Erasmus. Il se met aux sciences éco et surtout découvre les plaisirs de la Movida : «Je n’ai jamais autant fait la fête de ma vie. On a le droit d’être heureux, non ?»

Bientôt, il quitte le Parti communiste. Comme souvent, en guise de références, il convoque à nouveau paroles et musiques : «C’est le moment où Mylène Farmer composait Désenchant­ée.» On est au début des années 90. Rodrigo Arenas devient écologiste, sujet qui le ronge toujours : «Il n’y a pas que les clivages religieux, dans la vie.»

En 2017, il a voté «contre le Front national». Il affirme qu’il ne dérogera «jamais» à ce principe. Il

admire Greta Thunberg et l’approuve lorsqu’elle déclare que l’école ne sert à rien.

Diable! Alors, pourquoi la FCPE?

Il a commencé il y a dix ans comme parent délégué lorsque son aîné entrait en maternelle.

Peut-être justement parce qu’Arenas n’a aimé ni l’école ni l’académisme. Il déteste le

«par coeur». Il fait valoir que si les enfants commençaie­nt la philosophi­e dès le plus jeune âge au lieu de réciter des poésies, «on n’aurait pas un Front national à 30 %». Voilà la recette ! Rodrigo Arenas est partisan d’un système qui placerait l’enfant en son centre. La laïcité n’est pas le seul terrain sur lequel s’engage un délégué de la FCPE. Son rôle est aussi de signaler le poids excessif des cartables ou le droit refusé à une adolescent­e qui a ses règles de sortir de classe pour aller aux toilettes. S’intéresser à des enfants qui ne sont pas les siens, c’était le cas des parents d’Arenas. Lorsqu’ils ont débarqué en France, le père a travaillé dans le bâtiment tandis que sa femme faisait des ménages. Ils ont repris leurs études à la Maison de l’Amérique latine, à Paris, et sont devenus directeurs de centres de loisirs dans le Val-de-Marne, puis éducateurs spécialisé­s à Fontenay-sous-Bois et à Bondy. Rodrigo les a toujours accompagné­s, car ils n’avaient pas les moyens de le faire garder. Il en a conservé une reconnaiss­ance envers le service public : «Moi, j’ai appris la France grâce aux colonies de vacances. J’ai appris à nager dans les piscines municipale­s, la musique en écoutant des concerts au centre Olivier-Messiaen. Les gamins de la classe ouvrière bénéficiai­ent alors, grâce à des élus engagés, de l’ascenseur social qui n’existe plus aujourd’hui. Mais avec le recul et l’âge de raison, comme dirait Bronski Beat, je me rends compte que mes parents avaient un capital culturel pas commun dans une cité.»

Ses parents sont désormais retraités et séparés. Sa mère passe une partie de l’année au Chili: «Quand vous êtes immigré, l’assimilati­on, c’est de la connerie.» Mais il n’est pas impossible de s’adapter. Même s’il a grandi «dans une culture machiste hétéro-beauf, comme dirait Coluche», il se dit profondéme­nt féministe. Il pense aussi que l’égalité hommes-femmes se travaille et refuse de «nier aux femmes qui portent un foulard la possibilit­é de faire ce cheminemen­t. Ou pas».

Quand il trouve le temps, Rodrigo Arenas aime s’occuper du jardin du pavillon qu’il partage avec sa compagne, fonctionna­ire comme lui. Avec leurs enfants, il va au cinéma ou écoute de la musique. Il lit aussi, en espagnol, pour entretenir son vocabulair­e. En ce moment, c’est Fictions, de Borges. • 1974 Naissance à Valparaíso (Chili).

1978 Arrivée en France.

2009 Adhésion à la FCPE.

2010-2016 EE-LV.

2019 Coprésiden­ce de la FCPE.

Septembre 2019 Campagne électorale de la FCPE.

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