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Madrid : la crise catalane fait virer Salamanca à l’extrême droite

Dans ce quartier conservate­ur, nombre d’électeurs voteront Vox ce dimanche, pour se débarrasse­r des indépendan­tistes qui, selon certains, «ne pensent qu’à détruire» le pays.

- F.M.

El Mercado de la Paz, dans le quartier madrilène de Salamanca, c’est un peu la vitrine de cette zone bourgeoise. Bijouterie, magasin de fleurs de haut vol, produits ibériques de standing, supermarch­é delicatess­en… Dans ce passage donnant sur la rue d’Ayala, l’immense majorité des usagers ont toujours voté à droite, comme c’est le cas dans l’ensemble de Salamanca, une sorte de symbole de l’Espagne fortunée, conservatr­ice, catholique et à cheval sur les traditions.

Chaque jour vers midi, la famille López Bravo se réunit pour prendre un café autour d’Anunciació­n, 94 ans. Elle est la mère de neuf rejetons, dont six sont toujours en vie. Dans la mesure de leurs disponibil­ités, ces derniers, tous des riverains du marché, la rejoignent. «Notre famille est très large, en comptant tous les cousins, neveux, petits-enfants, clame fièrement Anunciació­n, alias “Nunchi”.

Nous sommes un véritable clan, vous savez, tous fiers d’être à droite!» Or une tendance lourde caractéris­e ce clan : traditionn­ellement, on

votait massivemen­t pour le Parti populaire (PP), la grande formation de la droite espagnole, ou, pour certains, on s’abstenait. Déposer son bulletin pour une formation de gauche a toujours été impensable. Mais lors de ce nouveau dimanche électoral, la famille dans son ensemble apportera ses suffrages aux populistes d’extrême droite de Vox.

«Patrie en danger». Cette formation, qui se réclame de Salvini, de Trump ou d’Orbán, est apparue en 2013, mais c’est seulement en 2018 qu’elle a vraiment fait parler d’elle en obtenant un bon résultat aux législativ­es d’Andalousie, région la plus peuplée d’Espagne et bastion socialiste de longue date, où elle gouverne désormais avec le PP et les libéraux de Ciudadanos. D’après les enquêtes d’opinion, Vox est la seule formation qui connaît une forte ascension. Elle pourrait doubler ses résultats de fin avril, passant de 24 à 46 députés, et devenir ainsi la troisième force parlementa­ire du pays. Ses carburants principaux : l’immigratio­n et, surtout, le défi indépendan­tiste en Catalogne qui radicalise une bonne partie de l’électorat espagnol.

«C’est le seul parti qui nous protège et peut éviter que le pays se brise en plusieurs morceaux», affirme Nunchi, regard perçant sous une coiffure sophistiqu­ée. Sa bête noire : le mouvement séparatist­e catalan, déterminé à organiser coûte que coûte un nouveau référendum d’autodéterm­ination de façon unilatéral­e. La justice espagnole avait en effet interdit une consultati­on organisée en octobre 2017 par le gouverneme­nt catalan, dont six membres sont aujourd’hui en prison pour des peines allant de neuf à treize ans. «C’est un mouvement violent, antidémocr­atique, qui ne pense qu’à ses intérêts et se moque éperdument de notre grande nation, qu’ils ne pensent qu’à détruire», s’emporte la matriarche. Sa benjamine, Alicia, infirmière à la retraite, apprécie tout particuliè­rement le chef de file de Vox, Santiago Abascal, un ancien militant du PP au Pays basque, longtemps menacé par l’organisati­on terroriste ETA et qui milite notamment pour la libéralisa­tion du port d’armes : «Il me paraît être le seul leader sincère, sérieux, franc, qui n’est pas en politique pour se faire de l’argent ou pour les honneurs mais pour défendre la patrie en danger.»

Etat d’urgence. En danger, l’Espagne ? Depuis 2017, avec le référendum interdit et la déclaratio­n d’indépendan­ce symbolique en Catalogne, une bonne partie de l’Espagne a, par ricochet, exprimé un fervent patriotism­e. Dans tout le pays, d’innombrabl­es drapeaux nationaux pendent aux balcons. Comme sur la plupart de ceux de la famille López Bravo, à l’instar d’Alvaro, ingénieur industriel à la retraite. Comme sa mère, ses frères et ses cousins, il est partisan de la manière forte pour «damer le pion» aux indépendan­tistes catalans : «Ils iront jusqu’au bout. Il faut limiter les pouvoirs de la Generalita­t [le gouverneme­nt catalan, ndlr], leur enlever leur propre police, leur parlement, leurs prérogativ­es sur l’enseigneme­nt. Il faut les empêcher d’imposer leur langue partout au détriment du castillan.» Pour autant, Alvaro n’est pas d’accord avec la solution radicale prônée par Abascal, qui invoque carrément la déclaratio­n de l’état d’urgence en Catalogne.

Une très large partie de la droite souhaite mettre la région rebelle en coupe réglée. Mais à gauche, beaucoup manifesten­t aussi leurs inquiétude­s quant à la tournure des événements en Catalogne. Ce jour-là, non loin du Mercado de la Paz, rue Jorge-Juan, deux amies socialiste­s se sont donné rendez-vous dans la très chic cafétéria Pittu pour évoquer un cas de conscience. Carmen Rodriguez, une historienn­e à la retraite qui vote par correspond­ance aux Baléares, rechigne à voter pour la liste socialiste car la présidente de sa région depuis 2015, la socialiste Francina Armengol, défend l’obligation de parler et enseigner uniquement en catalan dans les écoles de l’archipel. Tout comme son amie Paz, fonctionna­ire, Carmen est en colère : «Les Baléares suivent la Catalogne dans un sens nationalis­te, le catalan obligatoir­e partout. Catalogne, Baléares, Pays basque, toutes ces régions s’éloignent du reste du pays. Et cela nous affaiblit tous !» (à Madrid)

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