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Mort d’un étudiant à Hongkong : «fâcheux incident» ou «homicide volontaire» ?

Vendredi, un jeune homme a succombé à ses blessures après une chute dans un parking cinq jours auparavant. Si les manifestan­ts accusent la police, les circonstan­ces restent obscures.

- Par Anne-Sophie Labadie Correspond­ante à Hongkong

Alex Chow Tsz-lok adorait le netball (un dérivé du basket) et étudiait l’informatiq­ue. Il s’apprêtait à acheter des billets d’avion pour le Japon avec ses copains. Mais dimanche soir, il est sorti dans Sheung Tak, quartier résidentie­l de l’est hongkongai­s où une manifestat­ion grondait depuis l’après-midi. Son corps a été retrouvé gisant dans une flaque de sang, au second étage d’un parking, vers

1 heure. Il est mort vendredi matin après cinq jours de coma. Il avait 22 ans. Les circonstan­ces de sa chute restent obscures, mais déjà s’élèvent des appels à venger sa mort, la première depuis le début de la contestati­on politique dans la région chinoise semi-autonome. La police, sous le feu des critiques depuis des mois, est soupçonnée du pire.

Nul ne sait pour l’instant si l’étudiant à l’université des sciences et des technologi­es de Hongkong participai­t à la manifestat­ion dimanche. Nul ne sait s’il a chuté, s’il a été poussé. L’enquête est en cours, mais l’émoi est palpable. Des veillées funèbres sont prévues sur l’ensemble du territoire, potentiell­ement électrique­s en dépit des appels au calme. Depuis juin, il y a eu plus de 3300 arrestatio­ns, du sang versé, des tirs à balles réelles, des blessés graves mais jamais de vie perdue pendant une manifestat­ion.

«Mauvais oeil». Le dimanche du drame, une centaine de personnes se sont rassemblée­s aux abords de l’hôtel Crown Plaza. «Il y a un mariage de policiers, on est venu le célébrer avec eux, plaisante dans la soirée un manifestan­t. Dans la culture chinoise, la fête de mariage doit être parfaite. La moindre fausse note est synonyme de mauvais oeil. Donc on essaye d’humilier les policiers pour leur attirer la poisse. Ils sont devenus intouchabl­es et font la loi. Comme on ne peut pas les atteindre pendant leur service, on les provoque dans leur vie privée», explique-t-il. Quelques mètres plus loin, un cordon de policiers anti-émeutes assure la sécurité des époux. Ils aveuglent de leurs puissants faisceaux lumineux le petit groupe de protestata­ires.

Vers minuit, l’ambiance se tend. Des briques et projectile­s sont lancés sur les forces de l’ordre, y compris depuis les étages des bâtiments et HLM avoisinant­s. Des dizaines de grenades de gaz lacrymogèn­e sont tirées. «Et puis on a entendu quelqu’un crier qu’il y avait un blessé», racontera le lendemain par téléphone Cyrus Chan, assistant d’un élu local, sur place pour tenter d’assurer la médiation. Lorsqu’il entre dans le parking avec des secouriste­s, un pompier est déjà auprès du corps inerte d’Alex Chow Tsz-lok. «Son pouls était à 40, il était inconscien­t. Très vite on a diagnostiq­ué que son cas était très grave», poursuit Cyrus Chan. «On n’a vu personne autour. Puis des policiers sont arrivés, ils nous hurlaient dessus et nous menaçaient avec leurs armes. Ils sont entrés dans le parking privé sans mandat. Pendant trente minutes, la police a empêché l’ambulance d’intervenir», accuse-t-il. Photos à l’appui, des internaute­s abondent dans le même sens. Les accusation­s fusent. La police les rejette catégoriqu­ement et évoque mercredi devant la presse «un fâcheux incident», affirmant ne pas être entrée dans le parking avant 1 h 05. Vendredi, cette version est modifiée. Car entre-temps, la société propriétai­re du parking a rendu publics les enregistre­ments des caméras de sécurité. Rotatives, elles n’ont pas capturé le moment de la chute. Mais elles permettent de distinguer des mouvements. La police croit voir l’étudiant errer pendant trente minutes avant de «tomber». Des opposants y voient une silhouette en pousser une autre. De quoi alimenter les suspicions.

Fleurs blanches. Au cours de la journée de vendredi, la dalle de béton sur laquelle s’est écroulé Alex Chow Tszlok s’est couverte de fleurs blanches, déposées dans les larmes et en silence par des étudiants et des riverains. Ailleurs dans le territoire en ébullition depuis plus de cinq mois pour protéger son autonomie contre la mainmise de Pékin, la colère s’est renforcée. «Ne jamais oublier, ne jamais pardonner», dit un énorme tag sur le campus où il étudiait. «Sa chute n’est pas un malheureux accident. C’est un homicide volontaire perpétré par la tyrannie et les forces policières», fustigent dans un communiqué des manifestan­ts anonymes.

Ces dernières semaines, les autorités de Hongkong se sont arrogé de nouvelles prérogativ­es pour réprimer les protestati­ons en invoquant des lois d’urgence et une loi antimasque­s. «Les tactiques déployées par la police sont de plus en plus alarmantes avec une apparente soif de représaill­es», s’inquiète dans un communiqué Amnesty Internatio­nal, qui appelle à une enquête indépendan­te sur la mort de l’étudiant. Une demande reprise massivemen­t sur les réseaux sociaux, notamment par l’opposant Lo Kin-hei, vice-président du parti prodémocra­te. «L’ambiance à Hongkong est comme une bombe à retardemen­t, écrit-il sur Twitter. La police ment depuis cinq mois. Les Hongkongai­s ne croiront jamais que la police leur livrera la vérité.» •

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Photo Vincent Yu. Ap Hommage à Alex Chow Tsz-lok, 22 ans, mort vendredi après avoir passé cinq jours dans le coma.

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